L’intendant infidèle

À nouveau en chemin, avec toutes nos ressources !

Voici une parabole qui n’a pas vieilli, car le trafic d’influence est de toutes les époques.

Nous pourrions penser, par exemple, à un ministre, chassé pour dilapidation de fonds publics, et qui profiterait de ses derniers moments au pouvoir pour acheter des amis dans son comté.

Une telle conduite, si évidemment répréhensible, pourquoi donc le maître en ferait-il l’éloge? Il faut sans doute d’abord transposer : il n’est pas question de relations maître intendant mais des relations entre Dieu et les hommes. Comme dans la parabole des talents, la mauvaise gestion serait-elle de ne pas faire fructifier le capital de confiance dont on est investi? Alors, ce qu’il faudrait retenir de la parabole serait : faites fructifier la confiance, faites-vous des amis, créez des solidarités, fût-ce avec l’argent trompeur. La fin justifiant les moyens en quelque sorte!

Je vais essayer d’aller un peu plus loin, car un autre aspect m’interpelle dans cette parabole. Je fais sans doute de la projection, mais il me semble que, collectivement, comme communauté, comme peuple, nous vivons des temps de déprime. Aussi, je me sens proche de cet intendant dont la situation est totalement bloquée et désespérée. Ayant perdu la fortune et l’honneur, il est au bord de la panique. Je l’imagine avec des idées sombres : fuir à l’étranger, assassiner son maître, s’enivrer pour commencer… Il a rêvé un moment d’un improbable et miraculeux sauvetage. Toutefois, loin de se démonter, l’intendant mobilise son intelligence et ses compétences de négociant pour se sortir du trou : pour ce marchand-ci, 50% de réduction, pour cet autre, 20% devrait suffire pour obtenir la reconnaissance…

Il est important de souligner que cela ne résout pas ses problèmes : il a perdu son emploi mais, et c’est déjà quelque chose, il ne sera pas totalement démuni. Son influence ne sera plus jamais comme avant, mais on ne le lui fermera pas la porte. La conclusion de la parabole serait : il n’y a pas de situation désespérée et il y a rarement des miracles : votre savoir-faire, si apprécié dans votre métier, appliquez le pour élaborer des débuts de solution.

Lorsque Jésus raconte la parabole, il est bien conscient qu’il va choquer. L’intendant est un voleur, un gaspilleur, certes, mais l’important c’est : ‘il était presque fini et le voilà relancé’. C’est assez proche de la conclusion de la parabole du fils prodigue : ‘Réjouissons-nous, mon fils était mort, et le voilà vivant.’ Par rapport au récit du Fils prodigue, enlevons les remords du fils, enlevons au maître l’excuse d’être le père gâteux de ce garnement et c’est la même histoire. Le maître peut dire : ‘Soyons à nouveau dans l’allégresse : mon intendant était terrassé par la honte et le voilà debout!’

En définitive, est-il question d’autre chose dans tous ces récits d’évangile : une personne désespérée qui trouve le courage de se remettre en chemin, qui redécouvre le chemin de la vie. Et les rencontres de Jésus, n’est-ce pas toujours la même chose? : une personne qui se remobilise car elle se sent accueillie sans réserve, qui reprend confiance, qui se remet en marche.

Pour notre aujourd’hui, qu’est-ce cet évangile nous dit à propos de toutes les situations bloquées dans nos vies?

Certaines options, nous les connaissons bien pour les avoir expérimentées : la colère, la fuite, toutes les sortes de fuite, la rage et la haine, la négation, la culpabilité. Ce sont toutes des options qui détruisent et qui tournent le dos à la vie.

Prendre acte du fait que le passé est passé, accepter la réalité, utiliser ses compétences pour élaborer des solutions, avec les autres, pour au moins améliorer la situation, faire au moins un pas : ‘Lève-toi, mets-toi en marche’.


Quant à nos engagements dans les questions sociétales, peut-être souffrent-ils de la déprime que j’évoquais plus tôt, au moins pour les gens de ma génération, au moins pour moi. Les grandes causes et les grandes réformes qui m’avaient mobilisées autrefois n’ont guère fait progresser la situation des sans-pouvoirs dont je me professais le défenseur : avions-nous tort? Les organismes de services sociaux, d’éducation, de politique sont le théâtre de guerres de pouvoir, de corporatismes, d’intérêts personnels : y suis-je étranger?

Cette perte de confiance, c’est d’abord une perte de confiance en moi-même. Pour me remettre en marche, il me faut d’abord accepter que je ne suis pas ‘fils de la lumière’, mais pétri de la même pâte humaine que vous, fils et filles ‘de ce monde’. L’entremêlement de mes désirs, vouloir faire avancer la solidarité et être aussi en quête de mon bonheur, c’est notre condition humaine.


Le monde qu’il nous est donné de vivre et d’humaniser, c’est un organisme vivant qui nous inclut, un organisme qui se décompose et renaît, dont la complexité nous paralyse, dont l’évolution nous déroute. Ce monde, il nous est confié. Dieu a besoin de nous pour y  apporter la lumière et la justice. Il a confiance en nous, même si nous sommes corrompus par des ambitions mesquines, un ego ridicule, l’argent  trompeur et l’exigeant besoin d’être aimé.

Dieu a besoin que nous ne cédions pas à la désespérance mais que, en nous encourageant les uns les autres, nous trouvions le courage et la persévérance de faire, dans un moins un domaine, un autre petit pas, avec toutes nos ressources, avec tout ce que nous sommes, avec toute la confiance dont nous sommes investis.

En chemin… Remettre debout, rejoindre, cheminer… Devenir filles et fils de la lumière, peut-être cela nous advient-il ainsi… en chemin!