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Communauté chrétienne St-Albert le Grand




CÉLÉBRER L’EUCHARISTIE

Communauté chrétienne Saint-Albert-le-Grand

Recueil de textes de Paul-André GIGUÈRE
Numéro spécial du bulletin Étapes
mai 1994

Présentation


Cette brochure reprend une série d’articles parus d’abord dans Étapes, en 1987-1989, et consacrés à notre façon de célébrer. Après tout, avec notre fraternité, ce qui frappe les personnes qui passent ici le dimanche, c’est que notre façon de célébrer est différente. Alors que certains ne s’y retrouvent pas toujours, c’est précisément parce que c’est différent que plusieurs ont choisi St-Albert et continuent d’y venir.
Mais pourquoi est-ce différent?
C’est à cette question que cette brochure cherche à répondre. La liturgie de la communauté St-Albert a été élaborée avec elle par ANDRÉ GIGNAC qui fut l’un des grands liturgistes du Québec. Presque tout ce qui nous est particulier a un sens, que nous allons découvrir, c’est à un précieux héritage que nous avons été jusqu’ici fidèles. Cela ne signifie évidemment pas que nous soyons enfermés dans une façon de faire figée pour toujours : la communauté est tout à fait libre de modifier sa façon de célébrer et de l’ajuster à ce qu’elle devient. Mais si elle voulait le faire, ce ne devrait pas être à la pièce, mais avec le même souci de cohérence que celui qui a présidé à sa création.



FAIRE EUCHARISTIE

La clé maitresse qui donne accès à la cohérence de notre façon de célébrer, c’est le mot EUCHARISTIE. Si nous nous rassemblons, c’est pour faire eucharistie. C’est pour offrir à Dieu l’Eucharistie de son Fils. Comme tous le savent, eucharistie signifie action de grâce. Lorsque les premiers chrétiens s’assemblaient, c’était pour partager un repas d’action de grâces. L’Eucharistie chrétienne s’enracine elle-même dans la bénédiction, qui est la prière juive par excellence (“Père, je te bénis...” Lc 10-21).
Cette conviction imprègne notre liturgie jusque dans des détails de vocabulaire, de gestes et d’attitudes. Observons seulement que l’atmosphère qui se dégage des textes, des chants, de la disposition des lieux, est une atmosphère joyeuse, une atmosphère de fête. C’est pourquoi, à l’exception de temps forts de pénitence comme le carême, nous faisons peu de place aux rites pénitentiels. Nous savons, bien sûr, que la vie n’est pas facile et que plusieurs membres de la communauté passent par des moments de grande épreuve, tout comme nous n’oublions pas le mal qui enserre le monde. Mais à la lumière de la Résurrection du Christ, tout cela est porté et soulevé dans l’action de grâce, confiants que nous sommes que le mal et la mort n’ont pas le dernier mot. Se rassembler pour faire eucharistie, c’est saisir l’ensemble de la vie et porter en Jésus les joies, les réussites, les projets de chacun et chacune. C’est également porter les peines, les misères, les contradictions et les échecs de nos vies, de notre monde et de notre Église, en nous redisant notre confiance que, dans le projet de Dieu, « le rire vaut mieux que les pleurs, la communion est plus humaine que l’isolement et la vie, meilleure au goût que la mort ».

Quand la saveur des choses est déjà dans les mots

Cette belle expression empruntée à Yves Duteil introduit bien une présentation de la façon dont, à St-Albert, nous disons certaines choses. Dire certaines choses autrement n’est pas céder à un simple caprice ou à un désir snob de nous distinguer. Il en va de l’angle sous lequel nous cherchons à pénétrer, en Église, le mystère de la relation à Dieu par Jésus-Christ.

Célébrer l’Eucharistie


Il y a différentes façons de désigner l’acte central du culte chrétien. Chacune met en relief une dimension du mystère. “Offrir le Saint Sacrifice ne signifie pas la même chose que “prendre part à la Sainte Cène” ou “assister à la messe”. Aux tout débuts de l’histoire chrétienne, on parlait de “fraction du pain”, de “repas du Seigneur”. On pariait aussi d' “Eucharistie”. C’est cette expression qui s’est imposée rapidement et a dominé la pratique des trois premiers siècles. Ce n’est pas seulement pour renouer avec la tradition la plus ancienne de l’Église qu’à St-Albert, nous préférons parler de “célébration de l’Eucharistie”. C’est aussi pour nous dire ce pourquoi toujours nous nous rassemblons : rendre grâces à Dieu.

Le président de l’assemblée

Nous employons plus volontiers ce terme que celui de “célébrant” pour désigner le prêtre durant la célébration liturgique. C’est en effet toute la communauté qui célèbre quand elle s’assemble pour rendre grâces à Dieu. D’ailleurs dans les Églises d’Orient, on désigne le rite eucharistique par le mot “liturgie”, mais aussi par le terme “synaxe” qui signifie “assemblée”. Cette assemblée qui célèbre ne le fait cependant pas de façon anarchique. Le prêtre préside l’assemblée et sa prière.


Le chant d’ouverture


Celui qui préside l’assemblée est l’un de nous. Il n’est pas au-dessus ou à part : c’est un baptisé, membre de la communauté, qui a été désigné pour le service de la communauté et dont la vie est “ordonnée” à ce service. Voilà pourquoi quand notre célébration débute, il se lève et se présente tout simplement au micro. Il n’entre pas en “procession”. C’est la raison pour laquelle nous ne parlons pas du chant d’entrée (le chant qui accompagne ailleurs l’entrée solennelle du président). Nous parlons du chant d’ouverture, car ce chant conclut habituellement le rite d’ouverture de la célébration. On pourrait mentionner en passant que pour le chant qui souligne le cœur de l’Eucharistie, nous parlons d’ “Acclamation eucharistique” plutôt que de “Sanctus”. Si en effet il nous arrive régulièrement d’utiliser les mots traditionnels pour la louange (Saint! Saint! Saint! le Seigneur…), nous utilisons tout aussi bien d’autres acclamations pour nous unir dans la prière de bénédiction et d’action de grâce.


La table de l’Eucharistie


Les premiers chrétiens répugnaient à parler d’autel et aimaient dire qu’ils n’avaient ni temple ni autel, Ils préféraient désigner sous son nom tout simple de table le meuble sur lequel sont déposés le pain et la coupe de l’Eucharistie. Cela évoquait bien sûr le repas de Jésus avec les siens et ce “repas du Seigneur” est assez vite disparu de l’usage. Cela évoque encore que la vie de foi est nourrie de la participation à l’Eucharistie, comme de la participation à la table de la Parole, dont nous parlions un peu plus loin. Si donc, à St-Albert, nous parlons peu de l’autel, c’est que la façon dont nous célébrons met moins en relief l’aspect sacrificiel de la célébration, aspect qui ne saurait jamais disparaître complètement par ailleurs.


Autour des deux tables

Un thème traditionnel préside à l’aménagement de nos célébrations. C’est celui des deux tables. Les Anciens parlaient volontiers de la “table de la Parole” et de la “table de l’Eucharistie” pour désigner les modes symboliques par lesquels Dieu nous nourrit dans la foi. Cette séquence remonte à la plus haute antiquité et on la retrouve aussi bien dans les deux parties du discours sur le pain de vie au chapitre 6 de l‘Évangile selon Jean que dans le récit des disciples d’Emmaüs.

C’est pourquoi l’aménagement physique du lieu de la Parole et du lieu de l’Eucharistie à St-Albert place les deux “tables” à une même hauteur et sur une même ligne, aucune n’étant en retrait par rapport à l’autre. À l’occasion, les deux sont recouvertes d’un tissu de même couleur.

Il est bon de rappeler ici que dans l’Antiquité chrétienne, la table de la Parole était ouverte aux baptisés et aux catéchumènes, mais que la table de l’Eucharistie était réservée aux premiers. À la fin donc de la célébration de la Parole, les catéchumènes quittaient l’assemblée et les baptisés célébraient “le mystère de la foi”.

Avec la disparition du catéchuménat, avec aussi la raréfaction de la communion au cours du Moyen-Âge (au point qu’au XIIe siècle, le concile de Latran dut formuler l’obligation de communier au moins une fois par année), on vit la liturgie se (sur)charger de toutes sortes de nouveautés qui finirent de masquer la cohérence primitive

Le désir d’une liturgie plus proche de celle des origines a donc conduit à élaborer un schéma de célébration dépouillé de beaucoup de ces éléments relativement tardifs pour faire apparaître avec une plus grande clarté et une plus grande sobriété la structure des “deux tables”. Déjà la réforme liturgique avait commencé à supprimer des rites comme ce qu’on appelait les “prières au bas de l’autel”, le “dernier évangile" et les “prières après la messe”, de même qu’un nombre impressionnant de signes de croix, génuflexions, mouvements de bras ou de la tête que le président de la célébration devait accomplir.

C’est ce désir de conserver une structure dépouillée d’ajouts ou de doublets qui explique l’absence des éléments suivants que l’on trouve dans la plupart des paroisses. Le Gloire à Dieu au plus haut des cieux, très belle prière introduite dans la célébration vers le XIe siècle, qui anticipe la prière eucharistique. Le Je crois en Dieu, qui appartient au rite du baptême et qui n’a été introduit dans l’Eucharistie que durant le Haut Moyen-Âge (et au XIe siècle seulement à Rome). La procession d’offertoire et un rite élaboré d’offrande qui apparaît au moment où on impose l’utilisation du pain azyme (Xle siècle toujours). L’élévation du pain et de la coupe de même que la sonnerie de cloches et les génuflexions qui l’accompagnent tant pour le président que pour l’assemblée, qui apparaissent encore plus tardivement XIIIe-XIVe siècle). Et surtout les cinq rites pénitentiels qui viennent briser à plusieurs reprises le mouvement originel de la liturgie : au début de la célébration, avant la lecture de l’Evangile, au “lavement des mains” et avant la communion (“Agneau de Dieu” et “Seigneur je ne suis pas digne de vous recevoir”).

Cette énumération pourrait donner à penser que ceux qui ont élaboré notre façon de célébrer refusaient par principe tout ce qui avait été ajouté à compter du Moyen-Âge. Mais le facteur chronologique ne fut pas déterminant. C’est la connaissance de la façon dont les chrétiens du premier siècle se nourrissaient à la table de la Parole et à celle du pain et du vin eucharistique qui a présidé à la décision de réintroduire des gestes importants comme la communion au pain et à la coupe, et à celle de supprimer ou de laisser dans l’ombre des éléments sans doute vénérables, mais qui ou bien surchargeaient la structure de la célébration, ou bien en brisaient la dynamique interne.

La liturgie d’un seul coup d’œil


Comment cette option de mettre en relief les dimensions de célébration et d’action de grâce et de retrouver la dynamique des “deux tables” se traduit-elle concrètement? Le schéma relativement simple qui suit veut le faire voir. Il pourrait servir de point de référence pour les nouveaux venus. On pourrait aussi y référer au moment d’initier des enfants à la célébration de l’Eucharistie. Les textes en italiques indiquent des parties de la célébration qu’on pourrait qualifier de “mobiles”, parce que suivant les circonstances, elles ne sont pas toujours présentes.

1 RITES D’ENTRÉE DANS LA CÉLÉBRATION
Mot d’accueil par le président de la célébration

Dans les temps pénitentiels et à certaines célébrations où il
est en accord avec le thème du dimanche, rite pénitentiel
sous forme d’invocation.


Prière d’ouverture
Chant d’ouverture


LA TABLE DE LA PAROLE

2 LA CÉLÉBRATION DE LA PAROLE


Lecture de l’Ancien Testament ou du Nouveau Testament
Moment de silence
Psaume ou chant de méditation
Proclamation de l’Évangile et acclamation chantée à l’Évangile
Commentaire de la Parole ou homélie
Moment de recueillement, soutenu par la musique

Selon les circonstances, la lecture de l’Ancien Testament ou
du Nouveau, ou encore un texte non biblique sont parfois lus
après l’homélie.

LA TABLE DE L’EUCHARISTIE


Rite de transition


Sobre présentation, généralement silencieuse, du pain et de la coupe, dans un geste solennel.
Parfois, prière sur les offrandes qui prépare à entrer dans l’Eucharistie.

3 LA CÉLÉBRATION DE L’EUCHARISTIE

Première partie: la louange.

Prière solennelle de louange et de bénédiction pour l’œuvre de Dieu en notre faveur, centrée particulièrement sur la présence de Jésus parmi nous. Cette prière est entrecoupée d’au moins une grande acclamation chantée.

Deuxième partie: le récit de la Cène

Ce récit que l’on présente comme un tout (sans trop dissocier la parole sur le pain de la parole sur la coupe) est souvent suivi d’une profonde inclinaison du président et de l’assemblée, puis du chant de l’anamnèse, dans lequel la communauté proclame ce qui, dans la foi, est rendu présent : la venue, la mort, la résurrection du Christ et l’anticipation de sa manifestation glorieuse.

Troisième partie: la supplication

C’est le moment de la prière de demande pour l’Église, pour la communauté, pour le monde. On y insère les “prières universelles”.

Quatrième partie: la doxologie

Malgré sa brièveté, c’est le sommet de la célébration, le moment où culmine l’action de grâces de la communauté.

4 LES RITES DE LA COMMUNION


La communion est préparée par le chant du “Notre Père”.
Sa fonction est de signifier et de réaliser l’unité profonde de la communauté dans le Christ et de la disposer ainsi à la communion.
Le pain et les coupes sont préparés en silence pendant que l’assemblée se recueille.
Le pain et la coupe sont portés à l’assemblée qui communie en chantant un chant qui exprime le mystère auquel on communie.
La communion est suivie d’un moment de recueillement dans un silence profond.
Ce moment se termine par une prière finale qui recueille, en quelque sorte, la prière silencieuse de tous.

5 LE RETOUR AU RÉEL

Les avis adressés à la communauté, habituellement par le président ou la présidente du Conseil de pastorale, font état de la vitalité de la communauté à travers ses différentes activités.
Le mot d’envoi par le président de la célébration prend souvent la forme de la demande de la bénédiction de Dieu.
Le partage fraternel autour d’un café ou parfois d’un apéritif prolonge la célébration. C’est à ce moment que se fait discrètement la collecte des contributions financières.
Selon Justin (2e siècle), c’est une fois la célébration terminée que “ceux qui sont dans l’abondance et qui le veulent bien donnent chacun ce qui lui plaît, selon son propre choix. Et ce qui est réuni est déposé près du président et… il s’occupe de secourir tous ceux qui sont dans le besoin” (Apologie 1, 67). Ces offrandes ne sont pas faites à Dieu, comme le suggère implicitement le fait d’associer la quête à l’Offertoire, mais à la communauté : pour son fonctionnement et pour le service de ceux qui sont dans le besoin.

Rendons grâces au Seigneur notre Dieu!

Le trait qui, plus que les autres, frappe celui ou celle qui se joint à nous pour une première fois est probablement que nous prions avec nos propres prières eucharistiques. Ces prières eucharistiques ont un certain nombre de points en commun. D’abord leur mouvement. Elles suivent toutes le même schéma, emprunté à la liturgie d’Hippolyte (IIIe siècle) : d’abord l’action de grâces joyeuse pour les dons de Dieu et de façon privilégiée pour Jésus, puis le rappel du dernier repas du Seigneur, suivi de sobres prières de demande, finalement la grande acclamation de louange. Notons que ce schéma se retrouve dans les prières eucharistiques officielles du Missel romain à l’exception du Canon romain.
Nos prières eucharistiques ont aussi un même langage. Elles font une large utilisation du langage poétique, évocateur, imagé. Aussi bien ce langage que l’ensemble des gestes posés et des interventions de l’assemblée cherchent à éviter la surcharge et le style souvent ampoulé qui alourdit tant de célébrations. Mentionnons encore que nos prières eucharistiques font une référence fréquente au vécu concret et quotidien des personnes et des communautés. Et il ne faut pas cacher qu’elles ont en commun leur originalité : aucune ne se retrouve au répertoire officiel du Missel romain, même si bien sûr l’un ou l’autre de nos présidents de célébration peut puiser à celui-ci ou s’en inspirer très directement.
Il convient de rappeler que le contexte qui a vu naître ces prières est celui des années les plus actives et les plus créatrices de la réforme liturgique dans l’Église romaine. Au cours des années 1960, qui sont les premières années d’existence de notre communauté, la liturgie commence à être célébrée en français. L’unique prière eucharistique alors en vigueur, le Canon romain, apparaît comme une prière riche et vénérable, mais aussi lourde du poids des ans. Au moment de cette réforme, partout dans le monde, des liturgistes, mais surtout des pasteurs et des communautés chrétiennes comme la nôtre ressentaient le besoin de textes plus simples, plus dépouillés, davantage portés par le mouvement primitif d’action de grâces que le Canon qui s’inspire davantage de la liturgie d’un sacrifice.



Le pasteur de notre communauté, André Gignac, était professeur de liturgie à l’Institut de pastorale du Collège dominicain. Il possédait les qualités pour apporter sa contribution au mouvement de créativité qui animait ces années déjà lointaines. Bon connaisseur des liturgies primitives, portant à un haut degré le sens du symbole, capable d’écriture poétique, André Gignac a composé certaines des plus belles créations de cette époque. Il s’est aussi inspiré de créations européennes de qualité. Cela nous a donné, au fil des ans, un recueil d’une trentaine de prières eucharistiques, parfois thématiques, souvent destinées à une célébration particulière (rentrée de la fin de l’été, Noël, Pâques, funérailles...), toujours aussi modernes dans leur contenu que traditionnelles dans leur esprit et dans leur forme.
Entraîner la communauté dans l’action de grâces en utilisant ses mots et sa propre parole, c’était, pour André Gignac, renouer avec cette tradition primitive dont Justin témoigne au IIe siècle quand il écrit que le président de l’assemblée rend grâces à Dieu “Autant qu’il le peut”, ce qui est interprété comme signifiant qu’il le fait en improvisant la prière. Les différents formulaires de la prière eucharistique qui commencent à se fixer au IVe siècle sont le legs de ces hommes inspirés à qui l’Esprit donne de savoir formuler la prière de la communauté de telle sorte qu’elle s’y reconnaisse.
Les autorités romaines ont mis fin à l’ère des créations et notre pratique alternative fait l’objet d’une tolérance bienveillante. À nous de porter notre héritage de façon responsable et en en comprenant la richesse. Toute liturgie à St-Albert est eucharistie de cette communauté et de ceux et celles qui se joignent à elle. De cette communauté que nous avons sans cesse à inventer et qui, reconnaissant les signes de la présence de Dieu aussi bien à travers ses tâtonnements que ses réussites, se tourne vers lui pour le bénir dans la grande acclamation qu’André Gignac nous a appris à voir comme le sommet de la prière de l’assemblée célébrante : “Par Jésus, avec lui et en lui, à toi, Dieu Père tout puissant, dans l’unité du Saint Esprit, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles, AMEN!”.


Voici le pain et le vin de notre Eucharistie

C’est par ces mots que débute très souvent le rite de communion dans notre communauté. Ils nous serviront à présenter deux particularités de nos célébrations : la communion au pain et à la coupe et l’utilisation de véritable pain azyme. La communion au pain et à la coupe, dite encore communion sous les deux espèces, est la règle dans la vie de notre communauté. Cette façon de communier a été en vigueur dans toutes les Églises d’Orient et d’Occident depuis les origines. C’est à compter du XIIIe siècle seulement qu’elle a été abandonnée dans l’Église latine et l’une des revendications des Réformateurs au XVIe siècle était précisément un retour à la communion à la coupe.
Il ne fait pas de doute que la communion au pain et à la coupe permet de déployer toute la signification de la communion eucharistique. Elle constitue un vestige plus éloquent du véritable repas qu’était initialement “la fraction du pain” et se présente comme obéissance à la parole du Seigneur : “Prenez, mangez… Buvez-en tous…”. De plus, quand toute la communauté a accès à la coupe comme au pain, l’égalité fondamentale des baptisés est mieux affirmée que lorsque les ministres ordonnés, comme par une sorte de privilège, sont seuls à communier au sang du Seigneur.
Si on en croit les historiens de la liturgie, ce n’est pas pour des raisons théologiques, mais pour des raisons pratiques que l’on a fait disparaître la communion à la coupe, comme la crainte des épidémies ou le risque de renverser le précieux contenu de la coupe eucharistique. Ce sont d’ailleurs ces raisons qui ont donné naissance dans les Églises orientales à d’autres rites que le fait de boire directement à une même coupe : communion par intinction, où le pain est trempé dans le vin consacré, comme nous faisons à St-Albert, ou recours à une petite cuiller pour verser une goutte de vin dans la bouche des communiants.
Le Concile Vatican II a voulu restaurer l’usage de la communion au vin ou à la coupe. Il a d’abord rétabli le principe et indiqué un certain nombre de circonstances où il souhaitait que cet usage soit rétabli : c’est le cas des époux à la célébration de leur mariage, par exemple. Puisque la liturgie à St-Albert est fortement inspirée par un retour aux sources, il est normal que la communion sous les deux espèces soit un des traits de notre façon de célébrer auquel nous tenons sûrement le plus.
Comme tous le savent, c’est en trempant le pain dans la coupe que nous communions. Mais comme pour nous rappeler que le geste pourrait être plus signifiant, nous essayons, aux grandes fêtes, de répondre vraiment à l’appel du Seigneur “Prenez, buvez en tous…”. Plusieurs formules ont été essayées à Noël, au Jeudi Saint et durant la nuit de Pâques, entre autres celle d’utiliser des centaines de petits verres portés sur des chariots. Cette façon de faire comporte certains inconvénients, comme un bruit qui peut évoquer une atmosphère de cafétéria ou de réfectoire, ou encore la nécessité de laver dignement tous ces verres. On a aussi fait circuler dans les bancs de petites coupes en laissant aux membres de l’assemblée le choix de boire à la coupe ou d’y tremper leur pain. Chose certaine, il serait dommage que les inconvénients pratiques empêchent de chercher toujours à solenniser les grandes fêtes par un rite plus explicite.
Un mot maintenant du pain eucharistique. Il s’agit de pain azyme (sans levain) mieux connu sous le nom de pain “pitta”. Même si, ici encore, l’usage comporte certains inconvénients, comme le fait que ce pain durcit très vite et se conserve mal dans la Réserve, ou comme un prix d’achat plus élevé que les traditionnelles hosties, nous y voyons plusieurs avantages. D’abord il s’agit clairement de pain. Plus d’une personne souscrirait à la boutade qui veut que le principal acte de foi d’un catholique au moment de communier n’est pas de croire que le Christ est dans l’hostie, mais de croire que cette hostie est, à l’origine, du pain! Nous renouons donc avec la matérialité du symbole et pouvons entendre de façon plus vraie la parole du Seigneur : “Mon corps est une véritable nourriture”. De plus, ce pain nous rappelle les origines orientales de notre foi et l’enracinement historique du dernier repas de Jésus.

La parole est d’argent, mais le silence est d’or

On ne peut présenter notre façon de célébrer sans aborder les thèmes de la parole et du silence. La parole, parce qu’elle cherche à être riche, et le silence, parce qu’il cherche à être plein. C’est en grande partie la parole qui a donné naissance à notre communauté. Au début des années 1960, des chrétiens et des chrétiennes ont pris l’habitude de se déplacer, parfois d’assez loin, pour venir entendre ici une parole signifiante et une parole libérante. Les Dominicains sont, par vocation d’Église, des “frères prêcheurs” et la communauté est née, a grandi et est toujours nourrie de ce charisme. Fidèles à cette tradition de nos origines, les Dominicains et les autres membres de la communauté qui sont occasionnellement invités à faire l’homélie accordent beaucoup d’importance à la qualité de la parole partagée avec la communauté. Mais il y a plus que l’homélie. On cherche, on vient de le voir, à ce que la prière aussi soit parlante, évocatrice, poétique. Et il ne faut pas oublier les chant : Muguette et les chantres qui l’ont précédée peuvent dire combien de chants ont été rejetés parce que les mots étaient insipides ou insignifiants, ou encore combien de chants ont vu leurs paroles remaniées et recomposées!
Nous ne sommes heureusement pas la seule communauté chrétienne où la parole soit signifiante. Mais nous sommes une des rares communautés qui accorde au silence une place royale. Il faut le reconnaître, cela ne passe jamais inaperçu pour ceux et celles qui participent pour une première fois à nos assemblées. Il arrive même à certains de s’inquiéter. Ils se demandent si quelqu’un n’a pas oublié qu’il ou elle doit intervenir! Il y a, à chaque Eucharistie, un petit silence et deux grands silences. Et il y a deux autres silences solennels dans la vie de notre communauté.
Le “petit silence” est celui qui suit la première lecture biblique. Habituellement, l’animatrice ou l’animateur du chant attend de trente secondes à une minute pour succéder à la personne qui a proclamé la lecture. Cet espace est comparable au silence qui sépare deux mouvements dans une sonate ou un concerto. Il permet à la parole de descendre sur la communauté et à ses harmoniques de finir de réverbérer dans le cœur de chacun de ses membres. Il se peut qu’il passe inaperçu. C’est quand on va dans une autre liturgie et qu’on a le sentiment que l’enchaînement immédiat du chant de méditation bouscule et violente qu’on réalise l’importance du “petit silence de nos célébrations”.
Le premier des grands silences est celui qui suit l’homélie. Soutenu discrètement par l’orgue ou, occasionnellement, par un autre instrument, c’est un temps de méditation et d’appropriation de la parole. Nos célébrations sont des célébrations communautaires et c’est à une communauté que la Parole est proposée. Mais chacun, chacune la reçoit avec ce qui fait de sa vie une vie unique : il y a les plus jeunes et les plus âgés, ceux qui sont dans l’épreuve et ceux qui sont dans la joie, ceux qui marchent à tâtons et ceux qui se savent portés par Dieu. Le grand silence qui conclut la célébration de la Parole permet de s’approprier une parole de l’Évangile, une expression heureuse de l’homélie, de s’en nourrir ou de lutter avec elle…
Le deuxième grand silence suit la communion. Ce n’est pas un temps mort en attendant que ceux qui font le service de la communion terminent ce qu’ils ont à faire. C’est un temps qui permet à la fois de se laisser pénétrer par le mystère de la communion mystérieuse que le Christ établit entre tous en faisant de nous son corps et de commencer à se tourner vers la “vie réelle” qui est le lieu de nos véritables communions et solidarités. La prière de conclusion que le président prononce en restant assis, discret, alors que nous restons nous-mêmes assis, ne vient pas briser ce silence, mais elle le conduit plutôt à son achèvement.
Ces trois silences sont assez caractéristiques de la liturgie à St-Albert. Deux autres, plus rares et peut-être plus solennels, doivent être mentionnés. Le premier se rencontre au moment de la célébration du baptême. C’est dans un moment de silence que nous sommes invités à dire à Dieu notre désaccord avec le mal sous toutes ses formes. Le silence a ici un sens parce que la façon dont le mal nous séduit, ou nous menace, ou nous blesse varie considérablement d’une personne à l’autre. Chacune conduit sa vie au sein d’un réseau de résistances et de compromissions qui est son secret, souvent pénible. Le renoncement au mal, la décision de le combattre, gagnent parfois à être affirmés publiquement : il est aussi heureux qu’ils puissent se formuler dans le secret de la conscience.
Le dernier silence solennel de nos rassemblements ne nous est pas propre. Nous le partageons avec toutes les Églises. C’est celui dans lequel nous nous laissons plonger au moment où, dans la lecture du récit de la Passion de Jésus, on évoque sa mort. Là toute parole doit s’effacer devant la profondeur du mystère. C’est aussi, comme nous allons le voir maintenant, le seul moment où nous posons le geste classique de la pénitence et du repentir, celui de nous mettre à genoux.

Prier avec son corps

On imagine assez mal quelqu’un dont la position privilégiée pour prier serait la jambe croisée, la tête renversée nonchalamment en arrière, la nuque étant appuyée sur les deux mains. Sans doute peut-on prier dans n’importe quelle position. Mais il en est qui favorisent plus que d’autres la prière, tout comme il en est qui expriment mieux le recueillement et d’autres qui expriment mieux la fête.
Dans une assemblée liturgique, le fait d’adopter tous une même attitude corporelle rend visible la communion dans une même prière. Ne sommes-nous pas, ensemble, de façon réelle, le Corps du Christ qui se tient devant Dieu? Examinons ensemble les différentes attitudes corporelles de nos liturgies. Cela en donnera le sens et éclairera peut-être ceux qui, venant à St-Albert pour une première fois, s’étonnent, entre autres choses, que nous ne nous mettions pas à genoux, au moins au moment du récit de l’institution eucharistique.
Dans la Bible, c’est assis que les disciples se mettent à l’écoute de leur maître et reçoivent son enseignement. Être assis est donc une attitude de docilité qui convient à la célébration de la Parole, qu’il s’agisse de la proclamation des lectures bibliques ou de l’homélie.
La position assise est aussi la position du recueillement. C’est celle que nous réservons au chant de méditation inséré entre les lectures bibliques. C’est aussi celle dans laquelle nous méditons en silence, après la célébration de la Parole tout comme après la communion. C’est l’attitude que nous adoptons durant le geste de l’offrande et la prière qui le suit. Et c’est bien sûr celle qui convient pour écouter les différentes nouvelles concernant la vie de la communauté.

Debout

Voilà l’attitude principale de la prière liturgique. Être debout correspond d’emblée à notre nature et a toujours beaucoup de signification dans notre culture. Bien sûr, c’est debout que l’on fait la file en attendant l’autobus, et cela n’a pas de signification symbolique. Mais c’est debout que nous applaudissons une performance artistique qui nous a comblés, comme c’est spontanément que la foule se (sou)lève de joie lorsqu’un but est compté au hockey. C’est surtout debout que nous nous tenons en présence d’une personnalité importante ou lors d’événements particulièrement solennels.
Déjà pour des raisons culturelles, il conviendrait donc que ce soit debout que nous passions presque toute notre célébration : au moment où nous nous unissons pour la prière et le chant d’ouverture, au moment de la proclamation de l’Évangile et, surtout, durant la prière eucharistique.
Mais il y a plus. La position debout était, à l’époque biblique et est toujours, aujourd’hui, la position habituelle de la prière juive. C’était aussi la position dans laquelle priaient les chrétiens des premiers siècles. Au troisième siècle, par exemple, Tertullien rappelle qu’il est interdit de se mettre à genoux le dimanche et durant toute la durée du temps pascal et il mentionne que cette coutume est fort ancienne. Les Pères de l’Église insistent avec fierté pour dire qu’en Jésus-Christ, nous pouvons nous tenir debout devant Dieu, avec une joyeuse assurance, sans crainte, comme des personnes admises à son intimité et à sa familiarité.
Aussi devons-nous considérer l’attitude debout comme une véritable proclamation de notre dignité d’enfants de Dieu. C’est l’attitude qui convient en présence du sacré et c’est celle qui est la plus appropriée dans une communauté qui se réunit essentiellement pour rendre grâces, louer et célébrer.

À genoux

C’est tardivement que la position à genoux en est venue à prendre, dans la liturgie latine, la place que nous lui avons jadis donnée et qui signifiait de façon indistincte la supplication et l’adoration. Notons que dans la tradition biblique, l’attitude corporelle de l’adoration est la prostration, comme on voit encore les Musulmans se prosterner au cours de leur prière. À St-Albert, il arrive que le prêtre qui préside la célébration s’incline profondément après avoir prononcé les paroles du Seigneur sur le pain et sur la coupe, et plusieurs membres de l’assemblée ont pris l’habitude de l’imiter.
Nous avons vu que les premiers chrétiens évitaient de se mettre à genoux les dimanches et durant le temps pascal. C’est que la position à genoux est essentiellement une attitude qui exprime la pénitence, le repentir, le deuil. Telle est habituellement sa signification dans la Bible. C’est une attitude de supplication.
< À St-Albert, notre liturgie cherche, nous l’avons vu, à s’inspirer des origines et à centrer toute la célébration sur l’action de grâce. Aussi ne nous mettons-nous à genoux que deux fois dans l’année : lors de la proclamation de la Passion du Christ, après la relation de sa mort, et parfois au cours des grandes prières universelles d’intercession au cours de la célébration du Vendredi Saint

La liturgie de Noël à St-Albert

La célébration de Noël à St-Albert commence… le quatrième dimanche de l’Avent. Ce jour-là, tous les membres de l’assemblée sont invités à retrouver un cœur d’enfant. La célébration du quatrième dimanche de l’Avent est en effet conçue en fonction des enfants et des jeunes de la communauté. La liturgie de la Parole prend la forme d’un conte, ou parfois d’un jeu liturgique. D’année en année, on innove! Mais toujours, le mystère de Noël est annoncé, préparé et presque célébré. Cette célébration dérange parfois des adultes dans leur sérieux et leur préférence pour le discours abstrait et pour les rites familiers. Au total, c’est un précieux exercice pour abandonner ses sécurités familières et entrer dans le mystère de la Nouveauté que seuls ceux qui deviennent semblables aux petits enfants peuvent goûter.
La célébration de la nuit de Noël commence par une demi-heure musicale dont le déroulement est, lui aussi, renouvelé à chaque année. Parfois on alterne des chants populaires et des pièces jouées à l’orgue et à d’autres intruments. Parfois on met l’accent sur la méditation soutenue par la musique. Cette demi-heure permet à l’assemblée de préparer son coeur à la Fête… et croyez-le ou non, pour certains, c’est le seul véritable moment de préparation intérieure à Noël…
La célébration de Noël proprement dite est parfois marquée par l’arrivée des enfants qui apportent à la crèche l’image de l’Enfant Jésus ou complètent à ce moment la décoration de l’église. L’ensemble de la célébration suit le schéma des célébrations habituelles de la communauté. On essaie bien sûr de solenniser le chant. D’ailleurs, c’est traditionnellement autour d’un chant que la célébration est unifiée : “Un enfant nous est né, un fils nous est donné, éternelle est sa puissance!” Telle une berceuse chantée dans la nuit, ce refrain tiré du Livre d’lsaïe ponctue aussi bien la célébration de la Parole que la prière eucharistique.
Certains s’étonnent de retrouver peu de chants traditionnels de Noël au cours de la célébration. Il faut reconnaître que les paroles des chants traditionnels se prêtent mal à la fonction du chant dans la liturgie. Aussi les retrouve-t-on plutôt avant et surtout à la fin de la célébration liturgique au sens strict.
La prière eucharistique de Noël est d’une grande beauté et d’une grande simplicité. Elle s’élance à partir de tout ce que soulève en nous la fête : les souvenirs d’enfance, la joie et l’enchantement. Elle se centre tout de suite sur Jésus et sur la signification de sa venue : “Naissant à notre vie pour l’ouvrir sur la tienne, tu as libéré notre avenir”. Au moment de la supplication, elle n’oublie ni le monde auquel nous pensons, cette nuit-là, avec l’affection de Dieu lui-même, ni l’Église que Noël invite à être “humble présence au monde”, ni la réconciliation interpersonnelle à laquelle invite souvent Noël, tant dans les familles qu’entre les peuples, ni ceux qui sont morts et dont l’absence assombrit souvent la fête.
Comme on l’a vu plus haut, il arrive que l’on cherche à donner plus de solennité au rite de la communion sous les deux espèces. Mais cela dépend de plusieurs facteurs : personnalité du président de la célébration, nombre de bénévoles, réflexions du comité de liturgie, etc.
Un des traits les plus frappants de nos célébrations de Noël est l’échange de vœux. Très souvent, cet échange prend place tout de suite après l’homélie. En nous déplaçant à travers l’église pour souhaiter Joyeux Noël aux visages connus comme aux visiteurs de passage, nous sommes un peu comme les bergers qui, ayant contemplé le mystère, s’en vont “célébrant la grandeur de Dieu et le louant pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu” (Lc 220). C’est alors notre façon de prolonger la Bonne Nouvelle, de nous la transmettre en exprimant de façon très explicite la fraternité de ceux que rassemble la foi en Jésus. L’échange de vœux resserre ces liens et, après un moment de recueillement, l’on passe à l’Eucharistie dans un véritable esprit de fête. D’autres années, on cherche à tenir plutôt compte des réticences de plusieurs membres de la communauté qui estiment que ce grand brouhaha brise le rythme de la célébration et en particulier met fin au climat de recueillement créé par l’homélie. Aussi l’échange de vœux se fait-il alors à la toute fin de la célébration. Si elle perd un peu de la signification exposée plus haut, si plusieurs personnes s’échappent alors rapidement de l’église et ne peuvent être rejointes, la tradition de l’échange de vœux ne perd pas pour autant sa richesse. Placée à la fin de la célébration, elle apparaît alors comme un éclatement de la fête et comme une introduction au réveillon fraternel qui suit. Car il y a toujours réveillon auquel tous et toutes sont conviés, membres de la communauté et visiteurs d’une nuit, Quelle meilleure façon de rappeler que c’est d’Incarnation qu’il s’agit…


La liturgie de la Semaine Sainte

La célébration de la Pâque du Seigneur est l’objet d’une liturgie à la fois sobre et très solennelle. Elle commence le dimanche de la Passion, qui est un des deux dimanches de l’année où les enfants occupent la première place dans le rassemblement de la communauté. La liturgie se déroule comme à tous les dimanches, à l’exception de la proclamation du récit de la Passion. Ce qui est particulier à notre communauté, c’est qu’il arrive souvent que le récit soit proclamé à rebours, c’est-à-dire en commençant par la mort de Jésus pour culminer dans le récit de l’entrée de Jésus à Jérusalem. Acclamer alors le Christ, avec rameaux et sapinage à la main, c’est entrer dans la Semaine Sainte comme il entre à Jérusalem. C’est entrer avec des sentiments de louange et d’action de grâce dans ce mystère du salut par la Croix qui vient d’être évoqué dans la proclamation de l’Évangile de la Passion.
La célébration du Jeudi Saint est centrée sur la commémoration du dernier repas de Jésus. Souvent, une grande table est dressée sur toute la longueur de l’église. On cherche à créer un climat de grand recueillement, en tamisant l’éclairage ou en recourant au son du violoncelle. Mais la particularité la plus notable consiste dans l’inversion des deux parties de la célébration. Tout comme Jésus prit le repas avec les siens, puis prononça le “discours après la Cène”, nous commençons par la prière eucharistique et la communion. Nous cherchons à donner un relief particulier à la communion au pain et à la coupe. Puis, nous prolongeons l’Eucharistie par la proclamation et la méditation de larges extraits des paroles d’adieu du Seigneur. Cette deuxième partie se déroule dans le plus grand des recueillements. La plupart des lumières sont généralement éteintes et le texte est lu lentement, alternant avec des pauses de silence ou de musique. Souvent, un chant intitulé “Qui donc est Dieu?”, chanté sans accompagnement, propose une méditation sur le sens des événements célébrés. Le président de la célébration proclame ensuite la “prière sacerdotale” qui conclut, dans saint Jean, les derniers entretiens de Jésus. Enfin, un lecteur poursuit par la proclamation des quelques versets de l’Évangile qui mentionnent le passage de Jésus de la salle du repas au jardin de Gethsémani. Et le président se retire en silence.
Car pour bien signifier que le mystère de la Pâque du Christ est unique, la célébration du jeudi n’a pas de conclusion et celle du vendredi ne comporte ni introduction, ni conclusion. C’est comme s’il y avait une unique célébration qui se déroulait sur trois jours. Le Vendredi Saint, nous reprenons donc la célébration là où nous l’avions laissée la veille, c’est-à-dire par le récit de la prière de Jésus au jardin. Se succèdent, dans un ordre qui varie souvent, les différentes parties de la célébration du Vendredi Saint dans toutes les églises : proclamation de la Parole (chant du Serviteur selon lsaïe et passion du Christ), vénération de la croix, rite de la communion et prières universelles. Ce jour-là, ces dernières revêtent une solennité toute spéciale. C’est comme si les chrétiens du monde entier, d’aujourd’hui et de tous les temps, rassemblés autour de la croix du Christ, portaient devant Dieu le monde entier, avec ses grandeurs et ses espoirs mais aussi ses misères et ses contradictions. La célébration se termine sobrement par la lecture évangélique qui rappelle la mise au tombeau du corps de Jésus. Puis, comme nous l’avons dit, le président et l’assemblée se retirent en silence.
La célébration de Pâques a lieu dans la nuit, comme il convient. On y distingue, comme ailleurs, quatre parties bien distinctes : la célébration de la lumière, la célébration de la Parole, la célébration du baptême et la célébration de l’Eucharistie. On cherche à donner du relief à la célébration de la lumière à cause de sa forte puissance symbolique. C’est dans une église d’abord plongée dans l’obscurité la plus complète possible, où brille ensuite le cierge pascal, puis éclairée par la simple lueur des centaines de bougies portées par chacun et de celles qui sont fixées au mur que se déroule toute cette première partie qui culmine dans une grande louange de la lumière. Pendant de nombreuses années, c’est même exclusivement à la lumière des bougies que se déroulait la célébration de la Parole jusqu’à la proclamation de l’Évangile de la résurrection et l’éclatement de l’Alleluia! Alors on allumait toutes les lumières de l’église.
La célébration de la Parole comprend toujours le récit de la création, car selon la théologie chrétienne, la résurrection constitue le début d’une nouvelle création. Nous lisons habituellement le texte de la Genèse, entrecoupé souvent du refrain. “Il y eut un soir, il y eut un matin, et Dieu vit que cela était bon”. Il arrive toutefois de temps en temps qu’on lise une transposition de ce récit tel qu’il nous est venu d’un pasteur noir. La deuxième lecture raconte la sortie d’Egypte selon le livre de l’Exode. Mais souvent, on lui préfère une partie du dialogue entre un garçon juif et son père tel qu’il se trouve toujours dans le rituel juif de la Pâque. Cette façon de faire nous invite à la communion avec les croyants juifs de notre ville et du monde entier. Selon les années, il peut y avoir encore une ou deux lectures bibliques avant celle qui dit la visite des femmes au tombeau. Cette longue célébration rappelle les origines chrétiennes où la célébration durait jusqu’au lever du soleil, symbole de la victoire de la vie sur la mort.
Nous verrons un peu plus loin comment la nuit de Pâques est l’un des trois moments privilégiés pour la célébration du baptême dans la communauté. Depuis les tout débuts de l’Église, une des significations du baptême est une “plongée” (c’est ce que signifie littéralement le mot grec “baptême”) dans la mort et la résurrection du Christ. Pendant des siècles, dans certaines Églises, la nuit de Pâques fut l’unique moment où l’on célébrait normalement le baptême. Qu’il y ait ou non des baptêmes cette nuit-là, une grande louange sur l’eau est toujours prononcée et, après avoir invité l’assemblée à redire son adhésion au Christ, le président parcourt l’église jusqu’au fond en aspergeant généreusement la communauté en rappel du baptême de chacun.
Il arrive souvent que la célébration du baptême soit suivie d’une période d’échange de la joie de Pâques. Comme à Noël, on se déplace dans l’église pour offrir aux uns et aux autres ses vœux. Lorsque cela se fait, on sent la joie et la vie célébrée tout comme la lumière au début de la célébration. L’échange de vœux constitue une sorte de pause dans une célébration assez longue et permet de préparer la table de l’Eucharistie pour la dernière partie de la célébration. La prière eucharistique est souvent entrecoupée de nombreuses acclamations de l’A lleluia!
Et lorsque suffisamment de bénévoles ont rendu la chose possible, la célébration se prolonge par un réveillon.
Le baptême ou l’entrée dans la communauté.


Même si nous ne refusons pas de baptiser à d’autres moments que durant le rassemblement de toute la communauté, nous affichons une nette préférence pour la célébration communautaire. Traditionnellement, trois moments sont privilégiés dans l’année et les parents sont encouragés à présenter leur enfant au baptême à l’un de ces moments : Pâques, évidemment, le dimanche de janvier où l’on rappelle le baptême de Jésus, et un dimanche de fin-septembre début-octobre au moment où la communauté se “reconstitue”, pour ainsi dire.
Il s’agit bien de temps forts, de repères importants. Le baptême est célébré au cœur de l’assemblée régulière. C’est en effet un événement qui concerne l’ensemble de la communauté : une personne lui est présentée, elle l’accueille et s’engage envers elle. Si c’est un bébé, ses parents sont généralement connus par la communauté. Si c’est un enfant, il est généralement connu par certains des autres enfants. Si c’est un adulte son parrain ou sa marraine sont généralement des nôtres. C’est donc une fête pour tous.
La célébration du baptême d’un enfant met souvent à contribution les enfants et les jeunes de notre communauté. Parfois, on les invite à tracer le signe de la croix sur le front de la personne qui sera baptisée, ou encore certains d’entre eux apportent et versent dans la vasque l’eau du baptême. D’autres apportent la bougie du baptême ou un cadeau-souvenir laissé par la communauté pour rappeler l’événement. Quand elle a lieu, cette participation a beaucoup d’impact sur les enfants : sans nécessairement pouvoir le dire de façon conceptuelle, ils “apprennent” ce qu’est le baptême et, par conséquent, ce qu’est le leur. Pour la communauté, la participation visible de ceux de ses membres qui ont le plus récemment été baptisés symbolise la continuité de la tradition : c’est l’avenir qui est en train de prendre corps sous ses yeux.
Lorsque cette façon de célébrer le baptême est impossible, on cherche tout de même à en signifier la dimension communautaire d’une autre façon. Par exemple, des membres de la communauté dont l’enfant sera baptisé ailleurs sont invités à présenter leur enfant à la communauté et à demander à cette dernière de l’accueillir en son sein. Ou le baptême sera mentionné dans les intentions de prière de la communauté pour que l’événement ne passe pas inaperçu.
Le déroulement du baptême demeure généralement sobre, car on ne peut allonger inconsidérément le rassemblement dominical dans lequel il s’insère. Les personnes qui seront baptisées ou les parents, dans le cas d’un jeune enfant, sont longuement associées au processus de préparation de la célébration. Elles explorent la ou les significations que revêt pour elles le geste posé. Elles cherchent quels textes, quelles musiques, quels symboles visuels seront les plus aptes à les exprimer. Parfois, l’accent est mis sur le thème de la vie, d’autres fois sur celui d’un héritage à transmettre, d’autres fois encore sur celui de l’intégration à une communauté vivante ou sur la dimension pascale du baptême. Si on continue habituellement de baptiser en mouillant la tête de la personne, il arrive aussi qu’un enfant soit baptisé par immersion, c’est-à-dire en étant plongé dans une grande cuve.
On laisse souvent aux baptisés un souvenir permanent de leur baptême. D’abord, bien sûr, une bougie allumée au cierge pascal, souvent assez grosse pour pouvoir être réutilisée, par exemple au moment de la première communion et de la confirmation, ce qui symbolise bien alors l’unité profonde des trois sacrements de l’initiation chrétienne. Souvent aussi une jeune plante, symbole de vie qui croît, mais à la condition de recevoir des soins et d’être placée dans un environnement favorable. L’important, c’est que ce souvenir soit signifiant.

EN CONCLUSION

Nous pourrions encore parler du déroulement des célébrations de la Parole préparées pour les enfants de 5 à 12 ans, ou des rencontres dominicales des adolescents. Nous pourrions dire un mot des deux célébrations communautaires du pardon qui ont lieu en soirée, l’une avant Noël et l’autre durant le Carême. Mais cette brochure s’arrête ici. Car ce n’est pas en lisant sur la liturgie qu’on en goûte la richesse. C’est en y participant. Nous espérons que ces pages vous permettront de le faire en en retirant des fruits spirituels abondants.