L'Ascension (A)
Vous serez mes témoins
Laurent Dupont
1er juin 2014
« Et comme ils étaient là, les yeux fixés au ciel, pendant qu’Il s’en allait… » (Ac 1, 10). Ils étaient là sans rien dire, presque hébétés : tantôt Jésus était avec eux, puis maintenant Jésus n’est plus avec eux. Était-il ou non encore avec eux ? « Hommes de Galilée, pourquoi rester là à regarder le ciel ? » Mais c’est tellement plus fascinant de regarder le ciel quand il s’y passe quelque chose d’insolite ! C’est tellement humain d’ailleurs d’attendre tout du ciel ! Quand ça va mal, on peut accuser le ciel. Quand on n’a plus de force pour affronter la vie, on peut s’évader dans le ciel. Le ciel refuge, qui ne l’a pas recherché à un moment ou l’autre ? Mais il faut bien enfin redescendre sur terre, puisque c’est là que ça se passe : sur terre !
Jésus ne leur avait-il pas souvent dit : « Vous serez mes témoins jusqu’aux extrémités de la terre. » Il n’est donc plus question de se croiser les bras, en regardant le ciel. Nous sommes en mission. Il ne s’agit pas de se décourager, encore moins de désespérer, face à la tâche. Ni de rêvasser en attendant tout du ciel. Ce n’est pas une nouvelle, cela …, et encore moins une mission. La Bonne Nouvelle : Dieu n’est pas là-haut, au ciel. La Bonne Nouvelle, c’est que, sur terre, Dieu ne nous donne pas du « tout cuit », du prêt-à-porter. À nous de cesser de nous lamenter ! La Bonne Nouvelle : Dieu est avec nous, sur terre, Dieu est avec nous, parmi nous dans la vie des gens. Dans la vie, avec des gens de toutes sortes, qu’il s’agit non d’ignorer, ni de fuir, ni de dominer, mais de rencontrer. Les gens qu’il s’agit non d’abord d’endoctriner, ni de convaincre, mais d’écouter avant tout. Être à l’écoute de la vie des gens avec ses hauts et ses bas, avec ses événements heureux ou malheureux, la vie avec ses soucis quotidiens, et ses injustices criantes, la vie avec ses gestes de générosité, voire d’héroïsme, la vie des gens avec leurs inquiétudes, leur bonne volonté, la vie avec ses multiples et humbles graines de semence comme autant de promesses de la venue du Royaume. Et ces semences du Royaume, pas question de ne pas les voir, de les ignorer, ou de passer outre, nous passerions à côté de Dieu et de son Royaume. Le seul parti à prendre, au cœur du mystère de l’Ascension, c’est celui de Jésus qui aimait bien s’identifier comme Chemin, Vérité et Vie.
Aujourd’hui, fête de l’Ascension ! Fête de son départ ou de sa disparition. En quel sens la liturgie fait-elle de l’Ascension de Jésus une fête ? D’abord en distinguant une différence radicale entre une « disparition » et un « départ ». Un « départ » — celui d’un décès, par exemple — cause une absence, crée un vide derrière lui. Alors qu’une « disparition » amorce, inaugure une nouvelle présence, voilée, cachée, celle-là. Par l’Ascension, le Christ n’est pas parti. Il ne nous a pas quittés. Il ne nous a pas laissés orphelins. Il s’est fixé à jamais parmi nous à même des signes où il avait appris à ses disciples à le reconnaître : sa Parole, ses sacrements, le Prochain.
Si l’Ascension était le « départ » du Christ, comment pourrions-nous en faire une fête ? Nous devrions nous en attrister et le regretter. Son « départ » au ciel serait pour nous comme un enterrement, l’équivalent d’un enterrement. Mais le Christ — nous le croyons, il l’a promis — reste avec nous tous les jours jusqu’à la fin des temps. Par le mystère de l’Ascension, le Christ entre dans le partage de la plénitude de vie et de puissance du Père. Auprès de lui, le Christ est pleinement glorifié, exalté, spiritualisé dans son humanité. Et à cause de cela justement, il est plus que jamais en relation, en communion avec chacune et chacun d’entre nous. Et quand nous disons que le Christ s’est assis à la droite du Père, nous n’imaginons pas un déplacement physique de son corps ressuscité. Nous désignons par cette image biblique un accroissement de présence, de pouvoir et d’honneur, un accomplissement glorieux de son être, une plénitude de sa présence efficace. L’Ascension n’est pas un départ de Jésus, une séparation de nous, mais un point de départ, un accomplissement de sa présence auprès de nous. En d’autres termes, Dieu n’a voulu avoir qu’un « chez-soi » et c’est chez nous. À la question : « où est le Père ? où est sa demeure ? » l’évangéliste Jean répond : « avec nous, en nous » et fait dire à Jésus : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma Parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure. »
Nous comprenons mieux alors qu’emprisonner Dieu dans les cieux, le confiner dans le ciel, ce serait l’évacuer de nos vies et risquer de le perdre. Son Ascension peut être vue comme une aspiration dans l’Esprit, une intensification de présence et de proximité amoureuse. Ainsi le Christ ne s’est pas séparé de nous en retournant vers son Père, pas plus qu’Il n’avait quitté le Père en s’incarnant, en habitant parmi nous. Il n’a donc pas pu vouloir prendre ses distances. Il a seulement, au contraire, rétabli la communication entre Dieu et nous. Quelle fête que son Ascension ! Quelle joie que sa Disparition ! Il est là sur terre avec nous et Il ne nous quittera jamais plus, parce que sa présence — spiritualisée dans le Don même de l’Esprit — atteint une intensité et aussi une extension extrêmes, que sa présence charnelle en Palestine n’avait pu obtenir.
Alors, pourquoi donc regarder le ciel ? disent les Anges de l’Ascension. Ne restez pas à attendre, partez, étendez son règne et sa présence en achevant son œuvre ici-bas. C’est l’heureux message à nous adressé de la fête de l’Ascension.