Savez-vous aimer comme il faut? Réussissons-nous à aimer comme il faut? Quelques uns ont certainement des problèmes avec ça. Les événements de la semaine dernière nous en ont malheureusement donné quelques exemples. Dans l’ensemble, pourrions-nous dire, nous nous débrouillons assez bien. Mais, il n’empêche, nous nous posons toujours la question, car nous ne sommes jamais vraiment assurés. Ai-je été trop dur avec telle personne? Ai-je vraiment pris le temps d’écouter comme il faut tel ou tel proche? Ai-je encore l’énergie pour m’occuper de tel ou tel autre?
Apprendre à aimer comme il faut est l’œuvre de toute une vie. Nous cherchons toujours à nous améliorer dans ce domaine. C’est à cette question que les textes d’aujourd’hui cherchent à répondre. Par-delà la préoccupation légaliste du docteur de la Loi, Jésus nous présente l’originalité de l’amour chrétien. Déjà, dans la Torah, le livre de référence des juifs, l’amour de Dieu et l’amour du prochain sont inséparables. Mais, dans la personne de Jésus, un nouveau pas est franchi. L’amour du prochain devient le signe de l’amour de Dieu pour nous.
Une nouvelle forme d’amour apparaît. En effet, à l’époque, dans le monde grec, on reconnaissait en gros deux formes d’amour : évidemment Éros, l’amour-passion, en particulier celui qui vient du désir sexuel et qui est souvent difficile à contrôler. Et, deuxièmement, l’amour-amitié, c’est-à-dire la relation d’affection mutuelle qu’on constate entre époux, entre amis, entre parents et enfants. Avec l’Évangile apparaît une troisième forme d’amour : l’amour gratuit, désintéressé, sans contrepartie. Et les premiers chrétiens ont appelé cette troisième forme : la «charité».
Mais je devine tout de suite votre réaction : la charité, c’est pas vendeur, c’est même un peu méprisant : - c’est se contenter de soulager un symptôme alors qu’il faudrait travailler à améliorer le système - c’est faire preuve de condescendance à l’égard de ceux qu’on est supposé aimer de cette façon, etc. Or, c’est oublier l’autre partie de la recommandation que nous fait Jésus aujourd’hui. L’autre partie qui est déterminante pour bien comprendre ce qu’est l’amour gratuit, désintéressé : Aime le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. On oublie souvent la première recommandation parce qu’on se dit qu’aimer son prochain, c’est aimer Dieu, que l’un remplace l’autre. Or, ce n’est pas ce que Jésus dit dans l’Évangile. Les deux formes d’amour ne sont pas équivalentes. L’amour de Dieu est premier et l’amour du prochain en est le fruit et le signe. C’est l’amour que Dieu a pour nous qui rend possible le fait d’aimer gratuitement son prochain, et ainsi soutenir l’affection que nous avons pour ceux et celles qui nous entourent.
Comment cela est-il possible? L’Évangile nous en donne plusieurs exemples. L’attitude du Père pour nous est comparable à la réaction du Samaritain quand il voit le blessé gisant sur le bord de la route. Ou encore à celle du père du fils prodigue qui se tient au sommet de la colline et qui est remué aux entrailles quand il voit son fils revenir à la maison. C’est parce que ces figures incarnent la qualité d’humanité du Père qu’elles peuvent aimer de façon désintéressée les nécessiteux ou encore ceux et celles qui leur sont proches.
Je vois encore dans ma tête la réaction d’un postulant dominicain quand je suis allé au Burundi l’été passé. Nous étions dans une petite camionnette qui devait nous conduire à l’extérieur du couvent et nous attendions des retardataires. Une vieille dame s’amène dans le stationnement et, de peine et de misère, vient frapper aux fenêtres de la camionnette en nous tendant la main. Ce postulant, surpris, vient, tout d’un coup, les yeux ras d’eau et lui tend quelques pièces. Il n’en revenait pas qu’une dame de son âge ait à mendier comme ça pour subvenir à ses besoins.
C’est la dynamique même de l’amour charité : être touché par l’autre et y répondre par un mouvement de bienveillance à son égard. Aimer Dieu c’est nous rappeler régulièrement son amour gratuit pour nous. C’est le laisser renouveler notre capacité d’aimer afin de pouvoir aimer notre prochain de façon gratuite, désintéressée, sans contrepartie. C’est cette forme d’amour qui soutient au quotidien nos relations d’affection mutuelle. C’est cette forme d’amour qui nous aide à aimer comme il faut.