Hubert Doucet
À une première écoute, le texte d’Isaïe et celui de l’évangile de Jean n’ont pas beaucoup de lien entre eux. Isaïe dessine le rêve de Dieu pour les siens. C’est un texte printanier : l’espoir est partout. Fini le désert, vive le monde en train de renaître. Au contraire, le récit de Jean est particulièrement dramatique : la violence est palpable. Des hommes, sûrs de leur ordre moral, ont traqué une femme qui fait honte à leur société, l’ont encerclée pour qu’elle ne puisse leur échapper et ne visent qu’à l’écraser parce qu’elle est différente.
Quel lien entre ces deux mondes? Le lien, c’est Jésus. Ces hommes ne harcèlent cette femme que parce que lui, les gêne profondément. Les comportements de Jésus, ses attitudes, ses paroles ouvrent des voies nouvelles que le clan des scribes et des pharisiens se refuse d’accueillir. Leur cœur est aride, alors que la vie nouvelle germe déjà.
En quoi Jésus ose-t-il un nouveau chemin? Devant le traquenard qu’on lui tend, Jésus aurait pu s’en sortir facilement. Il lui suffisait de condamner, par exemple, les deux parties : les scribes et les pharisiens pour leur fausse colère de mauvais politiciens et la femme pour sa conduite répréhensible. Cela aurait été un bel exemple de jugement équilibré. Non, il choisit de se taire et de laisser parler le silence : « Il se penche et se met à tracer du doigt des traits sur le sable. »
Qu’écrit-il ? On pourrait en débattre à l’infini. Je préfère penser qu’il n’écrivait aucun message et ne faisait référence à aucun texte du passé. Non, il cherchait à créer le silence pour ouvrir à la réflexion, à l’écoute. En même temps, ce silence devait être insupportable à plusieurs. D’ailleurs, certains ne veulent pas se taire, ils continuent à l’interroger.
C’est alors que Jésus parle, ne portant aucune accusation, ne faisant référence ni à la morale, ni à la religion, mais renvoyant chaque personne à elle-même. Chacun fait face à son expérience de vie; il n’est plus un scribe ou un pharisien, mais quelqu’un qui a une histoire plus ou moins glorieuse : « celui qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre ».
Que se passe-t-il alors? Le récit se poursuit : « Après avoir entendu cela, ils s’en allaient un à un, en commençant par les plus âgés ». Ils ne se retirent pas en groupe de scribes et de pharisiens, mais comme des personnes individuelles qui ont des vécus différents. Le récit ne condamne pas en fonction de l’âge, mais fait ressortir la vérité du regard intérieur que le vieillissement peut apporter. C’est comme si vieillir rendait plus sensible à certaines dimensions de la vie qu’on voit peut-être moins à d’autres moments de l’existence.
Et qu’en est-il de l’autre personnage de l’histoire, la femme surprise en situation d’adultère? Son adultère est-il condamné? Elle n’est pas plus condamnée que l’ont été les autres protagonistes du drame. Une parole particulière d’encouragement et de soutien lui est même adressée : « Va, et ne te trompe plus de chemin. » N’est-ce pas là une parole de libération? Jésus l’a d’abord délivrée de ses accusateurs et, une fois seul avec elle, il la libère de sa propre culpabilité en lui disant « Moi non plus, je ne te condamne pas : va. »
La Loi que défendaient les scribes et les pharisiens divisait les êtres humains. Jésus invite plutôt à ne pas se tromper de chemin pour vivre en plénitude. La femme est libre de prendre un nouveau chemin, libérée qu’elle est du jugement d’autrui et de son propre jugement accusateur.
Les textes d’aujourd’hui nous invitent à faire nôtre cette façon de faire et d’être de Jésus. Comme l’annonçait Isaïe, à travers nous, la vie nouvelle germe déjà.