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Communauté chrétienne St-Albert le Grand





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15e Dimanche du Temps Ordinaire

14 juillet 2019

Deutéronome 30, 10-14     Luc 10, 25-37    Colossiens 1, 15-20

 

Être ou ne pas être… le prochain?   

Raymond Latour  


Un certain Shakespeare disait « Être ou ne pas être? Voilà la question ». On ne comprend peut-être pas très bien la question, mais elle n’en a pas moins eu une grande postérité. 

Raymond LatourAujourd’hui, l’évangile, par la bouche d’un scribe astucieux, nous ramène une question peut-être tout aussi célèbre : « Qui est mon prochain? ». La grave question de l’identité est posée. L’exclusion menace.         

Nous verrons que Jésus dans sa réponse rejoint le grand dramaturge anglais : « être ou ne pas être… le prochain », c’est tout l’enjeu. Ou mieux encore, pour être vraiment disciple selon le cœur de Jésus, pour aimer en vérité, il faut devenir, être le prochain de l’autre.  

Avec la parabole du bon samaritain, Jésus nous prévient : nous ne sommes pas dans les hautes considérations philosophiques ou théologiques. On ne peut plus s’accommoder de grands principes. Nous sommes dans le concret. Il faut « faire » pour « être ». Le prochain, c’est ici, maintenant. Il est en chair et en os, un être vulnérable. Il est dans l’urgence. Je ne le connais peut-être pas, il restera peut-être toujours anonyme, mais il me faut le reconnaître. N’allons pas passer tout droit!      

Dans la parabole, deux personnages, séparément, un prêtre et un lévite, étaient d’abord passés par ce chemin de Jérusalem à Jéricho, un chemin réputé assez périlleux. Ils ont vu le pauvre homme laissé pour mort par des bandits mais ont décidé de changer de trottoir! Ils sont littéralement « passés à côté ».       

Peut-être auraient-ils réagi différemment s’ils avaient été ensemble au moment de la découverte du blessé. Ce ne serait pas la charité qui les aurait inspirés, mais la crainte du regard de l’autre, une sorte de pression sociale qui se serait possiblement exercée, ou bien, ensemble, ils auraient justifié leur inaction.    

Chaque personnage est plutôt livré à lui-même. L’évangile ne nous dit rien du contenu de leur pensée. Peut-être, parce qu’ils étaient tous deux attachés à la Loi, figurent-ils les scribes et les pharisiens? Cela mettrait directement en cause l’interlocuteur de Jésus. S’il s’agit d’une crainte de contamination rituelle, la parabole serait déjà porteuse d’un message : ne pas dissocier service de Dieu et service du prochain. Le prochain est sacré!   

Le prêtre et le lévite, pour une raison ou une autre, ont décidé de « passer de l’autre côté ». La parabole laisse entendre que pour eux, cette inaction allait de soi, qu’elle s’imposait presque. Ils n’ont aucun état d’âme. Déjà un beau contraste avec le Samaritain qui lui, sera ému de compassion.        

Et on peut soupçonner qu’une dizaine, une vingtaine, une centaine de personnages religieux auraient eu la même attitude qu’eux. Ils ne sont pas une exception. Ils sont deux. Témoins à charge, à leur insu : ils témoignent du cœur endurci de toute l’élite religieuse, enfermée dans la l’observance de la Loi, aveugle à la misère humaine. La Loi qui prescrivait pourtant d’aimer son prochain comme soi-même ne semble même pas en mesure de commander une action humanitaire. Elle insensibilise. Elle forme un mur qui rend impossible la rencontre du prochain. Depuis quand la Loi avait-elle cessé d’être Parole vivante? Depuis quand était-elle devenue complice des brigands, comme pour achever leur œuvre?      

Arrive le Samaritain. On peut soupçonner que lui non plus, n’est pas une exception, qu’il n’est pas l’unique « bon » samaritain. C’est lui, l’étranger à la Loi de Moïse qui accomplit la Loi de l’amour du prochain, lui, méprisé par les Juifs parce qu’il ne connaît pas la Loi, ironiquement, c’est lui qui a su se faire proche. Il est devenu le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands. Ce dont le scribe-questionneur-poseur-de-piège a dû lui-même convenir.       

Tout comme notre scribe, le prêtre et le lévite connaissaient bien le commandement de l’amour du prochain. Ce n’était pas une parole obscure de l’Ancien Testament, mais un précepte important du livre du Lévitique – le Lévitique, justement! « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». La règle d’or. Rien de moins! Comment ont-ils pu l’ignorer? C’est précisément parce qu’ils ne voyageaient pas avec la Parole, parce qu’elle n’était pas tout près d’eux, dans leur bouche et dans leur cœur, selon le mot de la première lecture. S’approcher de la Parole, c’est s’approcher du prochain. Et inversement, qui s’approche du prochain n’est jamais très loin de la Parole. L’un mène à l’autre.   

La Parole vivante de Dieu était loin des deux juifs pieux. Ils l’avaient tenu à l’écart. Ils s’en étaient distanciés. Parce qu’ils n’entendaient plus la Parole résonner en leur cœur, ils n’ont pu voir leur prochain dans l’homme laissé en bordure du chemin. La Parole fait voir. Elle donne la miséricorde des yeux, puis du cœur, puis des mains.      

La Parole et le prochain sont d’une étonnante proximité! La Parole n’autorise en aucune façon la sélection du prochain. Comme Dieu, elle ne fait aucune distinction entre les personnes. Le prêtre et le lévite se seraient en quelque sorte servi de la Loi, des règles et des prescriptions de la Loi pour se boucher les oreilles, pour ne pas entendre la Parole et son commandement de passer à l’action.        

Les deux vilains de la parabole que nous ne pouvons manquer de réprouver, ont poursuivi leur chemin, en bonne conscience. Ils n’ont pas perdu une seconde à secourir le malheureux, tandis que le Samaritain s’est impliqué, l’a pris en charge. Il a su voir en cet étranger — dont il n’attendait rien — il a su voir en lui un frère en humanité, son prochain. Lui, le Samaritain, a fait la leçon à notre scribe. Il lui a réappris en l’inversant, la vieille histoire de Caïen et Abel, l’antique question « Suis-je responsable de mon frère? », à laquelle la parabole répond avec force : « Oui, tu es responsable de ton frère! ».   

Notre Samaritain, tout comme les deux autres, a vu l’homme tombé aux mains des brigands. Et il a été « saisi de compassion ». Cette émotion puissante lui a ordonné de secourir l’homme en détresse. Il n’a aucune motivation religieuse. Il obéit à ce que son cœur commande.   

Il pose une succession de gestes, sept au total, ce qui montre bien qu’il a accompli la perfection de l’amour que réclame la Parole. Il aime comme Dieu aime, lui le Samaritain! Il connaît d’avance le commandement nouveau : « Aimez-vous les uns, les autres, comme je vous ai aimés ». Il aime comme Jésus, lui qui a relevé notre humanité blessée, gratuitement, sans rien demander.  

Quel regard pourrions-nous poser sur notre Samaritain, en le détachant des querelles religieuses de l’époque de Jésus? N’est-il pas pour nous, comme la figure d’une personne qui  arrive à s’affranchir de l’individualisme? Dans notre société, chacun va droit son chemin, avec bien peu de disponibilité pour la dérangeante rencontre de l’autre, la personne en attente de secours. Chacun pour soi. La détresse et la souffrance nous font changer de trottoir! Nous ne sommes concernés que par notre prochain « identifié », ami ou membre de notre famille. Les autres, c’est à la société de les prendre en charge.       

Le bon Samaritain. Il a sauvé un homme. Grâce à lui, le mot « prochain » a trouvé un sens définitif. Il nous reste à faire de même, à devenir le prochain.     

Heureusement, il se rencontre dans notre monde des quantités de gens qui ont le souci des autres, de leur bien-être. Des personnes, qui, par simple humanité, donnent d’elles-mêmes, de leur temps et de leur argent pour secourir ceux et celles qui sont en situation de détresse.  

Pour le pape François, la compassion dont le Samaritain a su faire montre doit être le moteur de la mission de l’Église. Il voit l’Église un peu comme une hôtellerie, ou encore un hôpital qui accueille les blessés de la vie. Quelle image de l’Église présentons-nous? Une Église en sortie, capable d’aller vers l’autre, de se pencher sur sa souffrance? Ou bien une Église qui craint de se salir les mains comme les personnages du prêtre et du lévite?    

Dans la communauté chrétienne Saint-Albert-le-Grand, le comité aide-partage, le PPP « plus proche prochain » paraît être une inspiration directe de la parabole du bon Samaritain. Il y a aussi tous ces engagements, à l’extérieur comme à l’intérieur de la communauté qui n’ont rien de planifié, qui surgissent spontanément comme une réponse aux différents besoins. Notre rassemblement (hebdomadaire) prépare notre regard à voir avec les yeux du cœur, cette compassion qui nous fait mettre la parole en pratique. La miséricorde, ce chemin de la vie éternelle.     

Le bon Samaritain était plus proche qu’il ne le croyait de la Parole. Il s’est fait le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands. Peut-être par simple humanité. Mais combien plus faut-il prendre soin de l’autre pour qui se prétend chrétien, chrétienne? 

Être ou ne pas être. La question du scribe portait d’abord sur la vie éternelle. « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle? » La Parole toute proche de nous, celle qui est sur nos lèvres et dans notre cœur a répondu : « Il s’agit d’être… de devenir le prochain de quelqu’un, n’importe qui, n’importe quand ». Il faut savoir s’arrêter. Pour compatir!