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Communauté chrétienne St-Albert le Grand





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Fête du Christ-Roi

24 novembre 2019

Samuel 5, 1-3        Luc 23, 35-43           Colossiens 1, 12-17

 

« Bon larron et bon roi! »   

Raymond Latour  


La royauté et la conquête du pouvoir continuent de fasciner notre imaginaire. À preuve, cette télésérie, « Game of Thrones » (Le trône de fer) qui présente une multitude de personnages rivalisant pour la conquête du pouvoir absolu que représente le « trône de fer ». Cette série, la plus diffusée dans le monde, et l’une des plus coûteuses, a connu un Raymond Latourimmense succès. Les amateurs de la série se passionnent pour l’un ou l’autre des personnages au caractère ambivalent, ni tout à fait bon, ni tout à fait mauvais, et avec parfois d’étonnants revirements. Pouvoir et morale ne s’accordent guère dans cet univers violent où chacun agit selon ce qu’il perçoit être son intérêt.
           
Tout au contraire, la croix ne saurait en aucun cas être le siège d’un pouvoir recherché. Elle en serait plutôt l’absolue dénégation. Et pourtant, nous affirmons qu’elle est le trône du Christ, notre Roi.  
           
Dans l’évangile, les railleries fusent à l’endroit de celui qui, dit-on, s’était présenté comme roi des juifs et qui pend au gibet. Le peuple regarde la scène, perplexe. Il reste muet devant celui qui pourtant avait passé en faisant le bien. Pour les chefs religieux, c’est la rigolade : Jésus n’est même pas capable de se sauver lui-même! « En voilà un Messie! » Les soldats ne sont pas en reste, pour eux aussi, quelle risée que ce Jésus en croix. L’inscription au-dessus de lui « Celui-ci est le roi des juifs » vient accuser davantage l’ironie. « Non, mais quel roi! »
           
Un des malfaiteurs, également condamné au supplice de la croix, ne se prive pas d’ajouter sa voix à tous ceux-là. Au « sauve-toi toi-même » de tous ces rieurs, il ajoute : « et nous aussi! », cinglante parole envers celui-là même qui était venu sauver les pécheurs.        
           
Voilà comment celui que nous pourrions désigner comme le « mauvais larron » (si ce n’était pas un pléonasme) a choisi de vivre ses derniers moments. Le voilà devenu consensuel. Laissons-lui son paradis. Lui qui avait été par ses crimes rejeté de la société, lui, le paria, a voulu connaître pour une fois le bonheur de faire un avec le monde ambiant. Il n’est plus isolé, il partage l’universel rejet de Jésus.    
           
Universel rejet? Pas tout à fait. Un autre condamné, celui qui désormais sera désigné comme « le bon larron » réprimande l’autre malfaiteur pour son insolence. Il le recadre en reconnaissant tout à la fois la justesse de la sentence et l’innocence de Jésus. Non seulement il ne cède pas au parti de la moquerie, mais il se tourne humblement vers celui qui est objet de dérision pour lui adresser une supplique : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume ».      
           
Il s’est tourné vers son compagnon de supplice comme vers un ami. Il l’appelle par son nom. En faisant allusion à son royaume, il lui attribue la royauté que tout le monde lui dénie. Il lui confère un pouvoir royal, un pouvoir divin. Il est le seul qui dans toute cette scène ne s’amuse pas. En voilà un qui est sorti de l’esprit des jeux de pouvoir type « Game of thrones », qui a préféré le trône de miséricorde au « trône de fer ». Les sarcasmes se sont tus. La paix envahit la croix.
           
Les rois de ce monde commandent le respect, l’obéissance. Notre roi en croix n’inspirait, n’imposait aucunement cette attitude. Même un malfaiteur pouvait le défier et se moquer de lui impunément! Comment le bon larron est-il arrivé à comprendre que cet homme défait, vaincu, sur le point de mourir dans l’ignominie, comment a-t-il découvert en cet homme le détenteur d’un pouvoir suprême, celui qui dispose des clés du paradis?
           
Quel rapport, quelle filiation entre le crucifié que l’on présentait comme un roi de pacotille et le roi patenté qu’était David? Et pourtant, il était bien celui que nous proclamons aujourd’hui, non seulement « le roi des juifs », mais le Christ, « le roi de l’univers ». Il est, conformément à la grande tradition d’Israël le roi attendu qui accomplit la justice. La croix constituera le sommet de cette œuvre de justice et de réconciliation.           
           
La justice et la réconciliation, c’est là une préoccupation qui habite aussi notre communauté, comme un récent dîner communautaire le démontrait. Tous, nous sommes liés dans notre quête d’un vivre ensemble plus vrai, plus fraternel, qui exige de chacun et chacune une recherche de liberté intérieure. Au cours de ce repas, des détenus se sont adressés à notre communauté chrétienne. L’un d’entre eux exprimait ce paradoxe : « c’est en dedans, privé de liberté que j’ai pu apprendre à devenir libre intérieurement ».    
           
Des personnes aux prises avec des situations difficiles, qui ont eu à prendre leurs distances avec le conformisme de leur entourage ont aussi appris à poser sur le Christ en croix le même regard que le bon larron… Ensemble, elles peuvent dire, et nous disons aussi : « sur la croix, j’ai trouvé le pardon, j’ai trouvé la liberté ». Les situations « crucifiantes » peuvent devenir chemin de libération.     
           
Le « bon larron » manifestait les dispositions pour entrer dans ce processus de guérison. Sa prière est aussi la nôtre : nous avons tous à être réparés par la miséricorde du Christ. La croix nous donne une nouvelle naissance.          
           
Les rois humains sont souvent portés à confisquer la liberté de leurs sujets. Jésus, lui, dans sa miséricorde a le pouvoir de les délier de leurs entraves. Celui qui n’était jusque-là qu’un larron devient « bon larron ». Il est recréé. Le Christ notre roi lui offre un aujourd’hui de paix et d’espérance, une conquête de la liberté véritable, un aujourd’hui qui s’ouvre sur une perspective de bonheur éternel.      
           
Le bon larron a formulé une demande qui portait sur un futur indéterminé : « souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume ». Jésus lui répond par une promesse parfaitement ajustée. Toutefois, le futur n’est plus pour demain, mais pour « aujourd’hui » : « aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le paradis ». Le destin du bon larron semble se conjuguer au destin de Jésus. Il était avec lui sur la croix, il sera encore avec lui au paradis. L’espérance de l’un, le bon larron, rencontrait la miséricorde de l’autre, le Christ Roi. La communion envahit la croix.          
           
Aujourd’hui, le bon larron a l’honneur de nous présenter le Christ, roi de l’univers. N’est-ce pas une belle conclusion à notre année liturgique que cette royauté partagée?