La liturgie de la Parole de ce soir fait appel au passé. Nous avons entendu la promesse de la venue d’un sauveur par le prophète Isaïe et nous avons confessé notre reconnaissance de sa venue en chantant : « un enfant nous est né, un fils nous est donné ». L’Évangile de Luc nous a rappelé les circonstances de sa naissance. Notre vie présente et notre témoignage de foi reposent sur le rappel d’un événement passé, qui ne se reproduira jamais plus. La naissance à Bethléem advient après une longue attente du peuple de la lignée de David. Le passé suscite un dynamisme qui se vit dans l’espérance d’une venue. Si nos yeux s’arrêtent uniquement sur cette première venue, nous risquons de repartir fort déçus de notre nuit de Noël. De fait, une fois rentrés à la maison, il est fort à parier que le joug qui pèse sur nos épaules, la barre qui meurtrit nos épaules seront toujours présents.
Et pourtant, en cette soirée du 24 décembre, nous nous sommes déplacés vers la lumière. Nous avons fait le chemin avec ce que nous portons de joie, de dynamisme, d’enthousiasme; mais également de soucis, d’angoisse, d’inquiétudes. C’est portés par l’espérance que nous sommes sortis de nos maisons pour prendre la route. Lorsque tout va bien, nous voulons continuer sur cette lancée. Lorsque la vie est difficile, nous souhaitons la voir se transformer. Dans les deux perspectives, l’espoir nous habite. En ce soir de Noël, il n’y aura pas de grand miracle. L’inquiétude de perdre notre sérénité, ou la peur de voir la souffrance demeurer, ne disparaîtront pas. Toutefois, pour ces lieux où règne « l'ombre de la mort », une promesse nous est faite. Nous ne sommes pas laissés seuls. Le « Conseiller merveilleux », le « Dieu-Fort », le « Père-à-jamais », le « Prince-de-la-paix » est venu parmi nous pour demeurer présent, car la « grâce de Dieu s’est manifestée pour toute personne ». Un règne de paix est possible, malgré les apparences. En effet, comme le rappelle Paul à Tite (2, 11-14) « nous sommes appelés à vivre dans le temps présent… [en] attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ ». D’ici là, nous ne sommes pas laissés à notre indigence.
Dans les heures qui viennent, nous goûterons certainement à des moments de réjouissance agréables en famille ou avec des amis. Nous fêterons, habités par cette lumière qui se manifeste dans le plaisir de la rencontre et de la relation avec les autres. Nous souhaiterons, que ne s’éteignent jamais ces instants de bonheur, car ils sont porteurs justement d’espérance, vivre en plénitude. Cette nuit, l’Enfant de la crèche se veut un rappel de cet avenir possible. Nous sommes des êtres faits pour l’espérance, parce qu’en nous réside une parcelle de cet appel au bonheur sans fin. Le peuple de Dieu y a cru. Les croyants et les croyantes en la résurrection ont mis leur foi en ce Royaume qui se construit par ce Corps et qui fait appel aux hommes et aux femmes aimés de Dieu, afin d’être lumière. Nous hommes invités à emboiter le pas à la suite de Celui qui transforme nos espoirs en espérance.
Saint Augustin voulant cerner la nature du temps la découvre en se référant à un avant et un après. Il y aurait donc sur la ligne du temps, trois séquences : le passé, le présent et l’avenir. Le présent vient démarquer ce qui a été et n’est plus de ce qui n’est pas encore. Le Noël de nos enfances n’est plus. Il existe à l’intérieur de nos mémoires. L’avenir n’existe pas encore, mais il est présent en nos pensées par le désir de le voir se réaliser comme nous le souhaitons, le désirons. Le passé ne peut donc jamais être toujours présent, sinon il deviendrait éternité. Cependant, nous sommes donc appelés à croire par le témoignage du passé, que nous accueillons ici et maintenant, afin d’espérer que soient réalisées en nous les aspirations les plus nobles déposées en nos cœurs. L’espace où réside « l'ombre de la mort » se transforme ainsi en un lieu de lumière, malgré les apparences.
Ce soir, si nous nous inclinons devant l’enfant de la crèche, c’est parce que nos histoires personnelles nous y ont conduits. Elles prennent le visage de la foi transmise par nos parents, ou bien la découverte d’un Dieu qui nous aime et pour qui nous avons du prix à ses yeux. Toutefois, si nous nous redressons, nous relevons, devant cette même crèche, c’est pour nous faire artisans et artisanes de ce Royaume en croissance qui attend notre collaboration. Le corps de l’enfant de la crèche, celui du passé, est Corps du Christ qui anime le Royaume en croissance. C’est sous les traits de la faiblesse que Dieu se manifeste à nous une première fois, celle d’un enfant sans défense. Ce sont des êtres en marge de la société, des bergers, qui reçoivent l’heureuse annonce de la naissance du « Sauveur qui est le Christ, le Seigneur ».
Un être faible dont l’annonce dépend de marginaux ne peut être reconnu que par des gens marqués également par des pauvretés. C’est à ce prix que nous pouvons avoir les yeux tournés vers l’avenir, habités par l’espérance de voir un monde fracturé par tant de divisions, d’injustice, de guerres, de victimes innocentes devenir le terreau d’un monde meilleur, en devenir.
C’est véritablement Noël parce que nous sommes là, réunis dans la foi, en raison d’un passé qui nous conduit à célébrer pour mettre en commun nos espérances, afin de partager le don de la Vie au cœur de notre aujourd’hui.
À chacun et chacune, un très joyeux Noël !