Ben Sira le Sage 3, 2-6. 12-14 Matthieu 2, 13-15. 19-23 Colossiens 3, 12-15
Martin Lavoie
La liturgie, les commentaires, les missels, les Prions en Église de tous genres et de tous formats, appellent ce dimanche « Le Dimanche de la Sainte Famille », faisant de Joseph, de Marie et de Jésus le prototype par excellence de ce que doit ou devrait être une famille chrétienne.
Je ne voudrais pas être le rabat-joie du temps de Noël mais la fête liturgique de la Sainte Famille n’a été introduite dans l’Église qu’en 1893 par pape Léon XIII. Donc, c’est une fête relativement tardive, ce qui n’en fait pas pour autant une fête sans importance. Par contre, c'est un homme d’Église de Québec qui est à l'origine du culte de la Sainte Famille, Mgr François de Laval, premier évêque de Québec, et c’est pourquoi, sur l’île d’Orléans, il y a une paroisse qui s’appelle la paroisse Sainte-Famille. On peut donc dire qu’il y a un tout petit peu de nous dans cette fête de la « Sainte Famille ».
Mais les Évangiles, eux, que disent-ils de la Sainte Famille? En fait, cet évangile est la juxtaposition de deux morceaux, deux bouts d’une histoire qui n’a rien de très ‘’festive’’. Le premier paragraphe se passe après la visite des Mages. Ce n’est vraiment pas le temps de sabrer le champagne puisque Jésus, encore un tout jeune enfant, est contraint à la clandestinité et à l’exil : Joseph, Marie et Jésus doivent s’enfuir en Égypte. Jésus et sa famille portent déjà en lui ce qu’ont vécu et ce que vivent encore aujourd’hui tous les migrants : le déracinement et tout ce qui va avec, la peur, une vie au jour le jour, la précarité, une vie sans domicile, coupée des liens familiaux, sociaux et culturels sur lesquels on s’appuie lorsque surviennent des épreuves.
Le deuxième paragraphe se passe après la mort d’Hérode, ce roi jaloux et sans pitié, un roi qui n’a pas hésité à verser le sang d’enfants innocents. Face à un tel despote, impossible pour Jésus et ses parents de retourner dans leur village natal. Le danger est toujours aussi grand car Hérode a un fils, un fils tout aussi sanguinaire que son père. Jésus et sa famille doivent donc faire face à un deuxième déracinement. Ils doivent s’établir en Galilée, dans un village appelé Nazareth, loin des leurs, loin de leur terreau familial.
Dès sa naissance, bien malgré lui, comme tous les migrants d’aujourd’hui, Jésus et sa famille vivent bien concrètement la persécution et l’exil. Difficile me semble-t-il de ne pas faire des liens entre cette situation, ce vécu de Jésus et de sa famille, et celui de tant de personnes qui, aujourd’hui encore, un peu partout sur la terre, ont un vécu semblable, une vie d’errance subie à cause de la guerre, la persécution, la misère, à cause de dirigeants despotiques, à cause du terrorisme, des bouleversements climatiques, et j’en passe. Pour toutes ces personnes comme pour Jésus et sa famille la peur et la précarité sont omniprésentes. Et vous aurez sans doute remarqué comme moi que très souvent, lorsqu’on les interroge sur les raisons pour lesquelles ces migrants quittent leur pays au péril de leur vie, ils nous disent presque toujours qu’ils le font pour leur famille, leurs enfants.
Je crois qu’à ce moment-ci de l’actualité où la violence familiale fait régulièrement la ‘’une’’ des manchettes, cet évangile de Matthieu nous donne des points d’ancrage pour nous aider à trouver les mots justes à dire et les gestes appropriés à poser lorsque nous sommes en présence de tels drames humains. Comme nous l’entendrons dans la prière eucharistique, il nous faut sans cesse demander au Seigneur « d’ouvrir nos yeux à toute détresse, de nous inspirer la parole et le geste qui conviennent pour soutenir notre prochain dans la peine ou dans l’épreuve et de nous donner de le servir avec un cœur sincère, pour que l’humanité tout entière renaisse à l’espérance. »
Comment ne pas nous demander ce que nous pourrions faire de plus ou autrement devant tous ces drames familiaux, malgré une certaine forme d’impuissance ‘’coupable et sournoise’’ qui vient troubler notre cœur. Il y a quelque chose de profondément scandaleux dans toutes ces situations familiales où règnent la violence et la peur.
Lorsque nous évoquons la fête de la Sainte Famille, nous avons tendance à oublier qu’elle a connu elle aussi la violence, l’exil, la précarité, le rejet, la peur et que forcément elle a vécu des moments très difficiles, voire des tensions qui auraient pu faire éclater la famille. Être les parents d’un enfant, un enfant unique, qui est constamment poursuivi, traqué et menacé par les autorités civiles et religieuses, cela a de quoi donner beaucoup de soucis à des parents. Et c’est pourtant ce que la famille de Jésus a vécu, depuis sa naissance jusqu’à sa condamnation à mort. C’est la foi de ses parents qui a permis à la famille de Jésus de passer à travers ces épreuves. La foi de Marie, la mère de Jésus, nous la connaissons par ce que nous en disent d’autres évangélistes, tout particulièrement saint Luc. La foi de Joseph, le père de Jésus, nous la connaissons par ce que nous en dit saint Matthieu, dans l’évangile de ce dimanche. Il n’a jamais cessé de croire en Dieu durant les épreuves déchirantes de sa vie de couple : Une femme enceinte, sans lui. Un enfant menacé de mort. La liturgie de ce dimanche nous rappelle que c’est sa foi qui l’a soutenu et guidé quand il a dû fuir sa terre natale pour protéger son fils. Et plus tard, quitter sa nouvelle terre d’accueil, c’était de nouveau pour Joseph obéir à l’appel de Dieu. Pour Marie comme pour Joseph, la foi a toujours été au cœur de leurs décisions les plus importantes. Et elle est là la sainteté de la famille, dans les moments heureux comme dans les moments de grandes épreuves, ne jamais cesser de croire en la présence du Seigneur, en sa sollicitude et son pardon.
Que retenir de la Sainte Famille si ce n’est qu’elle a été pour Jésus un lieu de découverte de Dieu et qu’à l’exemple de ses parents, il a appris à se laisser interpeller par les événements pour y discerner la volonté de Dieu. Notre vie de famille n’est pas si différente de celle de Jésus. Nos familles sont, elles aussi, bousculées et secouées. Aucun parent ou grand-parent n’est épargné par les aléas de la vie.
Mais chacun et chacune peut être un témoin important dans la vie d’un enfant ou d’un petit-enfant. Tous les parents et tous les grands-parents peuvent offrir à leurs enfants et leurs petits-enfants le plus beau des cadeaux, celui de la foi qui rend heureux et qui donne du sens à ce qu’a été leur vie. Mais l’inverse est tout aussi important et nécessaire. Tous les enfants et les petits-enfants peuvent offrir à leurs parents et leurs grands-parents le plus beau des cadeaux, celui de la foi qui rend heureux et qui donne le goût d’aimer.