Pour nous tous et toutes, je crois que c’est un beau moment que celui de nous retrouver ensemble pour célébrer l’eucharistie; nous l’attendions depuis longtemps. La petite équipe qui a préparé la célébration de ce midi était aussi très heureuse de se retrouver, d’autant plus que notre échange concernant l’évangile de Luc a été particulièrement vif.
La lecture des paroles de Jésus « Heureux, vous les pauvres, à vous le Royaume de Dieu » a créé de la surprise, du remous même, au sein du groupe. Cette façon de parler de l’évangéliste Luc - réjouissez-vous d’être pauvres -, ne serait-ce pas une invitation à la passivité devant les possédants et à la soumission face aux puissants? L’évangéliste Matthieu dont nous lisons un texte assez semblable à la Toussaint n’est-il pas plus invitant : « Heureux les pauvres de cœur »? C’est à une démarche spirituelle que Matthieu nous invite. N’est-ce pas plus dynamique?
Après ce moment de surprise et de malaise, nous avons cherché à creuser le sens de cette parole qui ne semble pas correspondre à l’esprit de Jésus. À lire attentivement le texte, on remarque d’abord que Jésus n’est pas sur la montagne, mais en descend pour s’arrêter sur un terrain plat. On n’est pas dans les hauteurs où ne montent que quelques-uns, mais dans la réalité du quotidien où vivent habituellement des gens de toutes provenances. C’est à cette foule bigarrée et en quête de vie digne que Jésus s’adresse. Si ces gens le suivent, c’est qu’ils espèrent qu’il peut leur apporter une sortie de leur condition.
Jésus ne leur souhaite pas la pauvreté, ils sont déjà pauvres, affamés et méprisables aux yeux des élites. Il ne cherche pas à les endormir, mais à leur donner confiance que leur vie peut avoir du sens car le royaume de Dieu est tout proche. Ce royaume de Dieu n’est pas, comme pour nous, le ciel de demain qui ne vient pas, mais une réalisation qui est toute proche. Leur rapport au temps est différent du nôtre.
Pour ces hommes et ces femmes rassemblés dans la plaine, Jésus est ce Royaume tant attendu. Comme l’affirmait le prophète Jérémie dans la première lecture, ce royaume est comparable à cette eau vive qui abreuve tellement bien les racines des arbres qu’ils ne dessèchent point quand viennent les périodes d’aridité, ils produisent encore du fruit.
Jésus ne veut pas leurrer cette multitude de gens venus d’un peu partout; ses paroles apportent l’espoir que les choses peuvent changer, que le désir de Dieu est de libérer leur présent. Mais, direz-vous, les choses ne se sont pas passées de cette manière, l’immédiateté n’a pas été au rendez-vous.
Est-ce à dire que la parole de Jésus a été illusion? Je ne vois pas ainsi les choses, particulièrement lorsque je regarde le Pape François, ce témoin contemporain de l’annonce de Jésus. Sur le terrain plat où il cherche à se situer, François ne cesse de répéter que les conditions du monde produisent des personnes déplacées, itinérantes, martyres des guerres et des catastrophes, toutes personnes aimées de Dieu. De là, de manière à favoriser un monde humain, il nous invite à examiner nombre de nos comportements comme l’indifférence à la misère des autres ou la valorisation de la richesse avec les profondes discriminations qu’elle entraîne.
Ce que je retiens des paroles de Jésus qui nous ont été proposées aujourd’hui, c’est la confiance qu’il place en nous pour annoncer que le bonheur qu’il désire pour tous et toutes, il est maintenant de notre responsabilité de le faire advenir. La tâche que Jésus nous confie est immense : faisons-lui confiance qu’il est avec nous pour que nous puissions bien l’accomplir.