Le texte du prophète Isaïe et celui de l’Apôtre Jean qui viennent de nous être proclamés nous invitent à prendre le chemin de la Vie. Les styles sont cependant assez différents. Le premier est particulièrement festif : fini le désert, vive le monde en pleine renaissance. Le peuple entier pourra reprendre la route de la vie. Le second, celui de l’évangile, est d’abord un récit de combat contre Jésus dont la présence au Temple soulève la colère.
Les ténors de la Loi se sentent, en effet, le devoir moral de bloquer le chemin à Jésus, cet homme dont la conduite leur est intolérable. Pour ce faire, paradoxe étonnant, ils utilisent et brutalisent une femme sans défense, mais laissent aller l’homme qui était son complice alors que la loi de Moïse exigeait d’accuser les deux.
Ces hommes ne harcèlent cette femme que parce que lui, les gêne profondément. Les comportements de Jésus, ses attitudes, ses paroles ouvrent des voies nouvelles que le clan des scribes et des pharisiens se refuse d’accueillir. Leur cœur est aride, alors que la vie nouvelle germe déjà.
En quoi Jésus ose-t-il un nouveau chemin? Devant le traquenard qu’on lui tend, Jésus aurait pu s’en sortir facilement. Il lui suffisait de condamner, par exemple, les deux parties : les scribes et les pharisiens pour leur fausse colère de mauvais politiciens et la femme pour sa conduite répréhensible. Cela aurait été un bel exemple de jugement équilibré. Non, il choisit de se taire et de laisser parler le silence : « Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre. »
Qu’écrivait-il ? On pourrait en débattre longtemps. J’ose penser qu’il n’écrit aucun message ni ne cherche un texte du passé pour protéger cette femme. Jésus ne vise-t-il pas plutôt à créer le silence, cherchant tout simplement à déverrouiller le cœur de ces hommes, en ouvrant à la réflexion et à l’écoute? Ou bien, il se tait pour se donner du temps à lui-même. En s’abaissant au ras du sol, Jésus se met en position d’humilité et se retrouve face à lui-même. Cette vulnérabilité qui devient alors la sienne l’ouvre, une fois encore, à la souffrance de l’autre et l’engage à s’en faire solidaire. Ce silence devait être insupportable à plusieurs. Le texte n’indique-t-il pas qu’« on persistait à l’interroger »?
Quand il se relève, Jésus ne condamne personne, ni les accusateurs, ni l’accusée. Il dit simplement : « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ». Il se baisse à nouveau, garde silence et renvoie les protagonistes à la profondeur de leur être. Il leur ouvre un avenir.
Pour les plus vieux, même le passé peut devenir ouverture. Je ne vois plus le constat de Jean « ls s’en allèrent à partir des plus vieux » comme une parole satirique stigmatisant les vieux imbus de leurs certitudes. La remarque de Jésus qui, dans les faits, ne condamne aucun des acteurs fait prendre conscience qu’en pratique, nul n’est parfaitement à la hauteur de ses idéaux. Tous sont vulnérables devant les défis de la vie. En prendre conscience devient chemin de libération et capacité de s’ouvrir au mal de l’autre.
Quant à la femme accusée, un nouveau départ s’ouvre à elle. Elle est maintenant capable de s’engager sur un nouveau chemin parce que quelqu’un qui ne la connaissait pas l’a aimée pour elle-même, sans aucun marchandage. Le dialogue de Jésus avec cette femme est tout court, mais libérant : « Personne ne t’a condamnée? » « Non, personne », répond-elle. Et lui, de reprendre : « Moi non plus » et il ajoute ce simple mot : « Va ». Et parce qu’elle va prendre sa vie en main, elle pourra répondre à l’invitation de Jésus de ne plus pécher.
L’histoire que nous a racontée l’évangile de ce midi donne tout son sens au texte du prophète Isaïe que nous avons lu en première lecture : « Voici que je fais un monde nouveau : il germe déjà, ne le voyez-vous pas? »