CCSA






Communauté chrétienne St-Albert le Grand





« Marchons à sa suite ! »

24e Dimanche du Temps Ordinaire

Raymond Latour   

Is 50, 5-9a

Jc 2,14-18

Mc 8, 27-35  
    

           Au cœur de septembre, au moment où nous reprenons les activités régulières, alors que nous tenons aujourd’hui notre assemblée générale annuelle, une célébration sur le thème « Marchons à sa suite! » sonne comme un appel à la mobilisation des troupes, en bon ordre de marche.    
Ce n’est pas tout à fait le modèle d’une communauté chrétienne, et certainement pas le nôtre ! Personne ne détient un bâton de commandement ! Et si l’unité des cœurs est requise, ce n’est certes pas pour s’engager dans quelque entreprise de conquête ou de reconquête. Prosélytisme et apologétique ne sont pas dans la constitution de cette communauté pour qui, marcher au pas et marcher dans les pas du Christ, ne devraient jamais s’équivaloir. Depuis sa naissance, la communauté chrétienne Saint-Albert-le-Grand est de mode synodal, proposant toujours et encore de marcher ensemble à la suite du Christ, dans le respect des sensibilités et des multiples parcours des membres qui forment la communauté.
« Marchons à sa suite! » a quelque chose de volontaire, de résolu. Une posture de disciple, en apparence assez enthousiaste. Mais deux conditions ou exigences sont d’abord avancées : « qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix », voilà ce que Jésus réclame. S’agit-il d’une seule et même chose, ou de deux réalités différentes ?     
Dans un cas, renoncer à soi-même reviendrait à prendre sa croix, une sorte de renforcement du premier membre par le second. Dans l’autre, prendre sa croix consisterait en une phase positive, par opposition à « renoncer à soi-même ». Il reste qu’au Québec, les deux propositions ont une résonance négative : l’une qui connote une dimension de sacrifice qui revient à une négation de soi, et l’autre, bien sûr le fameux « il faut porter sa croix », avec le fatalisme et le dolorisme qui lui sont attachés. Peut-on les entendre à nouveaux frais, en prise avec la radicalité de l’Évangile aussi bien qu’avec notre liberté humaine ?      
Car c’est de liberté et d’un choix fondamental dont il est question ici, puisque l’invitation de Jésus s’adresse à quiconque « veut » marcher à sa suite. Ce désir est à la base du choix. Il implique une certaine connaissance de Jésus, une confiance envers lui et une offre de collaboration, voire d’engagement. Jésus clarifie ce qui est réclamé de son éventuel disciple, et la clarification vaut aussi pour Pierre et compagnie : suivre Jésus, ce n’est pas partir pour la gloire ! C’est inscrire toute sa vie dans son mystère pascal.    
Personne ne souhaite renoncer à soi-même. Au contraire, nous mettons tout en œuvre pour vivre et bien vivre. Ce détachement n’a de sens que pour marquer un attachement encore plus grand envers la personne de Jésus que l’on va jusqu’à préférer à soi-même, un attachement qui peut conduire jusqu’au don de sa propre vie, par amour. Sans la foi qui nous fait comprendre qu’il y a là un chemin pour une existence plus riche, plus féconde, qui voudrait aller sur ces sentiers ? Jésus emploiera tous ses talents de pédagogue pour inciter ses disciples à prendre cette option. Sans trop de succès, il faut en convenir. Ce n’est qu’après la résurrection, avec la force de l’Esprit, qu’ils ont pu marcher dans ses chemins.   
Tout comme les disciples, nous sommes en mesure de faire l’inventaire des opinions les plus répandues sur Jésus. Même dans une société qui ne se réfère plus à la foi, Jésus reste une figure de sage, de maître spirituel dont l’enseignement a eu un grand retentissement dans l’histoire. Pour plusieurs, son discours en faveur des pauvres et des opprimés, son discours qui conteste l’ordre établi, le place au rang des prophètes et des révolutionnaires. Jésus aujourd’hui nous interpelle directement : « Pour vous, qui suis-je? ». Nous ne nous contentons pas d’une réponse apprise, comme « tu es le Fils de Dieu ». Nous laissons la question toujours ouverte, avec sa force de répercussion : dans notre quotidien, dans nos rencontres, dans les événements du monde et de l’Église, la question nous amène à approfondir ou corriger nos vues sur celui que nous confessons comme le « Christ ». Cette question nous forme jour après jour dans notre identité de disciple. Le « qui suis-je ? » de Jésus informe le « qui suis-je ? » de la personne qui souhaiterait marcher à sa suite.    
        À la communauté chrétienne Saint-Albert-le-Grand, nous souhaitons rester en état de questionnement, de recherche, pour accueillir la nouveauté du Christ et de son message. Nous refusons les fausses réponses, les réponses toutes faites, les réponses obligées, les réponses qui censurent tout questionnement ou toute remise en question. Nous marchons ensemble vers la vérité tout entière. De façon engagée. Voilà ce que signifie « porter sa croix » : vivre sa foi dans la fidélité, avec lucidité, avec ouverture. Nous refusons de rester dans une bulle de sous-culture, en marge du monde. Nous marchons à sa suite, à sa manière !