Le Seigneur m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur et « un jour de vengeance pour notre Dieu ». Oups! Jésus n’a pas repris au complet le passage du livre d’Isaïe qu’il avait sous les yeux! Il a omis la finale menaçante du « jour de vengeance ». Qu’est-ce que c’est ça? Jean-Baptiste lui-même, quelques versets plus haut, s’exprimait encore comme les prophètes du Premier Testament : « Engeance de vipères! Qui vous a montré le moyen d’échapper à la colère qui vient? »
Non, avec Jésus on a affaire à une attitude et un discours différents. D’ailleurs, après sa lecture, devant tout le monde, Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. L’ambiance est posée, l’atmosphère est calme. Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. Il ne dit pas « car l’Écriture parle de moi et vous pouvez le voir. » Comme il ne dit jamais qu’il est le Christ ou le Prophète attendu.
Jésus se contente de fournir à ses auditeurs des indices. Et il laisse libre leur intelligence d’accepter ou non le signe offert. C’est bien une nouvelle façon de présenter la Parole de Dieu qui est mise en œuvre. Plus de menace! Plus d’imposition d’une règle qui viendrait de l’extérieur et qui dirait quoi penser ou quoi faire. Non, avec Jésus nous sommes en présence d’un nouvel état d’esprit qui fait appel à l’écoute, à la disponibilité intérieure et à une docilité de l’esprit et du cœur.
Nous nous situons ainsi dans la grande tradition d’Israël sous le signe de l’écoute : Écoute Israël, le Seigneur est notre Dieu. Dieu parle et nous sommes convoqués à l’écouter. Dieu fait appel à notre écoute pour actualiser sa Parole. Parce que l’écoute est la racine d’un nouveau rapport avec Dieu. On le sait, quand on écoute véritablement quelqu’un, on va plus loin que simplement entendre ses propos comme on entend des bruits de fond. On se concentre sur ce qu’il dit. On a auparavant fait le vide à l’extérieur comme à l’intérieur de nous pour dégager un espace où sa parole peut se déposer. On ne prépare pas sa réponse pendant qu’il nous parle. On se tait et on écoute. C’est toute une ascèse, on le sait.
Une fois que cette parole est déposée en nous, on cherche à la comprendre : Qu’est-ce que tu veux dire exactement quand tu dis telle chose? Tu veux dire ceci ou cela? C’est alors qu’on s’ouvre à quelque chose de neuf : ce que notre ami est vraiment. Ce qu’il pense en réalité. C’est le moment où la parole de l’autre nous change. Quelque chose de nouveau se manifeste à nous. Nous ne sommes plus le même. C’est comme ça qu’agit la Parole de Dieu quand nous l’écoutons.
Elle éveille en nous de nouvelles possibilités. On découvre une nouvelle façon de voir les choses, c’est-à-dire le regard de Dieu sur le monde. On découvre aussi de nouvelles façons d’agir dans lesquelles on se reconnaît. Quand nous accueillons la Parole de Dieu de cette façon, elle devient vivante, efficace, convertissante. Ce n’est pas nous qui nous convertissons. C’est le travail naturel de la Parole de Dieu en nous qui nous convertit quand nous l’écoutons, quand nous nous rendons disponibles et dociles.
Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. Oui, ce travail de la Parole se fait individuellement quand nous l’écoutons. Mais il se fait aussi communautairement quand nous l’écoutons en Église lors de nos rassemblements du dimanche. En elle-même la Parole a tout ce qu’il faut pour produire des effets et inspirer des façons de réaliser le Royaume de Dieu. Le passage du livre de Néhémie que nous avons entendu plus tôt, relate justement ce qui s’est passé lorsque le livre de la Loi a été retrouvé et lu pour la première fois lors du retour d’exil.
Les gens pleuraient de joie. Ne vous affligez pas : la joie du Seigneur est votre force. Quand on se sait précédé par une Parole qui nous révèle le regard de Dieu sur le monde et qui éveille en nous de nouvelles possibilités, il n’y a plus lieu de succomber à la morosité ambiante. Nous pouvons vivre dans l’espérance de lendemains meilleurs et dans la solidarité raffermie entre les croyants. Aujourd’hui s’accomplit la Parole.
Puisse la force de la Parole nous atteindre et nous relancer sur la route du Royaume.