Cette semaine, dans la voiture, j’écoutais à la radio l’interview d’une comédienne qui m’apparaissait dynamique, vivante et articulée. Elle parlait volontiers de ses engagements actuels. Pourtant, lui a dit l’animatrice : Vous n’avez pas toujours fait ça dans la vie! Et la comédienne d’avouer qu’elle avait d’abord été procureure de la couronne pendant quatre ans. Elle se débrouillait bien dans sa profession mais cela ne la comblait pas. Il lui revenait sans cesse en mémoire les beaux moments qu’elle avait passés à l’école secondaire en faisant du théâtre et des comédies musicales. Elle s’est aussi rappelé ce que sa mère lui avait dit : « Si tu l’avais voulu vraiment, tu l’aurais fait. » Elle a donc décidé, il y a quatre ans, de faire le grand saut dans le monde artistique et elle ne l’a pas regretté. Elle a vécu un gros changement de carrière. Cela illustre à quel point l’aspiration au bonheur est quelque chose de très fort et de très profond. C’est même une question de racines!
C’est justement pour répondre à cette aspiration que nous nous mettons à l’écoute des textes d’aujourd’hui. D’abord comme vous, probablement, j’ai été saisi par l’opposition que revient dans les deux lectures : Maudit soit l’homme… béni soit l’homme. Quel malheur pour vous… Heureux vous. C’est toujours difficile à entendre, des paroles dures de la part de Jésus à l’encontre de certains. Comment comprendre cela? C’est que Jésus veut nous faire réaliser le sérieux du propos et les conséquences de nos décisions. Il s’agit de mettre les humains devant un choix.
La proposition chrétienne du bonheur relève d’un choix entre deux alternatives : Soit vous vivez centrés sur vous-mêmes; Soit vous vivez en vous ouvrant à Dieu et aux autres. L’aspiration au bonheur est une réalité très profonde en l’être humain. Elle ne peut pas se satisfaire de solutions superficielles ou centrées sur l’immédiat. D’ailleurs l’Évangile ne parle jamais de plaisirs. Il évoque plutôt la joie : ce sentiment plus profond et plus comblant. C’est pourquoi le chemin chrétien du bonheur inclut des exigences et des renoncements, mais toujours en vue de répondre à la profondeur de l’aspiration.
La première racine qui nous est proposée aujourd’hui nous est rappelée par le prophète Jérémie : Béni soit l’être humain qui met sa confiance et sa foi dans le Seigneur. C’est un avertissement sévère : Soit vous vous en remettez à Dieu. Soit vous suivez votre propre conseil en mettant votre confiance dans des appuis humains ou matériels. Nous sommes ici au cœur de la démarche de foi : Ne pas se contenter de ses propres intuitions et perceptions. Mais plutôt, se mettre à l’écoute d’une Parole qui nous révèle un Dieu proche, accompagnant et soutenant.
Car notre rapport à ce Dieu bienveillant est de l’ordre de l’écoute d’une Parole. Notre Dieu n’est pas un dieu qui nous dirait quoi faire dans le détail en exigeant de nous la soumission. Non, c’est un Dieu qui vient engager une conversation avec nous dans l’espoir que nous accueillerons ses propositions. L’écoute de sa Parole vise à éveiller en nous de nouvelles possibilités d’existence. Ces possibilités que nous portons en nous comme la patience, la bienveillance, le dynamisme, l’intelligence. La Parole de l’Évangile veut éveiller toutes ces ressources que nous avons et que nous pouvons actualiser.
Mettre sa confiance en Dieu, mais aussi une deuxième racine : se préoccuper des autres. C’est le point commun entre les pauvres, les affamés et ceux qui pleurent. Tous ceux qui sont en capacité d’accueillir le Royaume. Quel malheur pour vous les riches, car vous portez le risque de vous renfermer sur vous-mêmes. Satisfaits et rassasiés de votre quotidien, votre cœur n’offre plus de place pour le Royaume de Dieu. Dans la perspective chrétienne, le bonheur proposé ne se vit pas tout seul. C’est un bonheur collectif. On le sait : c’est en aidant les autres à être heureux qu’on trouve le sien. Et l’évangéliste Luc insiste sur les autres qui sont pauvres et dans l’affliction.
Dernière racine du bonheur qui se dégage de la Parole de Dieu d’aujourd’hui : Le bonheur total et complet nous est promis pour plus tard, quand nous serons en compagnie de Dieu dans la vie éternelle. Autrement dit, notre aspiration au bonheur ne s’épuise dans aucune réalité du présent. Quel malheur de s’en tenir à un plaisir immédiat, sans ouverture sur l’avenir : Vous qui êtes repus maintenant; Vous qui riez maintenant. Le chemin chrétien du bonheur inclut la patience, la persévérance, l’espérance. Il nous est donné de savourer des avant-goûts du bonheur. Mais nous demeurons toujours ouverts à un bonheur plus grand.
L’aspiration au bonheur est une réalité très profonde en l’être humain. Elle mérite qu’on lui accorde régulièrement du temps pour ajuster son parcours personnel. Si elle relève d’un choix fondamental pour Dieu, pour les autres et toujours ouvert sur l’avenir, ce choix est sans cesse à refaire dans une multitude de petits choix qui surgissent dans notre vie de tous les jours. L’Évangile se présente à nous comme une boussole indiquant la direction et nous conviant à prendre en main de façon conscience, notre propre chemin.