Vous pouvez facilement vous imaginer la discussion de notre petite équipe de préparation à la célébration d’aujourd’hui lorsque nous avons échangé sur cet évangile. La première réaction, ça a été de dire que les exigences de Jésus dépassent un peu les bornes. Jésus peut-il exiger une telle abnégation de la part de ses disciples ? Et, peu à peu, à force de discuter, nous avons commencé à évoluer et à prendre conscience que les mots de Jésus étaient riches de sens.
Comment avons-nous réussi notre évolution? Ce n’est pas en analysant le sens des mots prononcés dans l’évangile; en fait, ce sont eux qui posent problème. C’est en regardant agir les personnes qui mettent en pratique ses paroles que nous avons commencé à mieux saisir l’invitation de Jésus. Ces années-ci, au Québec et ailleurs dans le monde, on parle beaucoup de justice réparatrice. Autrefois, c’était la façon d’agir chez de nombreux peuples autochtones ; cette façon de juger réapparait ces années-ci. Cette pratique prend maintenant forme dans la vie de notre société, dans la rencontre qui se réalise entre la victime et son offenseur. Que se passe-t-il alors ? La victime commence à sortir de son isolement et à affronter ses peurs lorsqu’elle se rend compte des circonstances de l’acte qui lui a fait si mal et l’a refermée sur soi. En pardonnant, elle retrouve une liberté et une ouverture de cœur qu’elle n’avait plus. Il en va de même pour la personne qui a fait le mal à l’autre : admettant sa responsabilité, le malfaisant se donne une chance de se libérer d’un poids. En comprenant le mal qu’il a fait, le coupable peut se réhabiliter, recommencer une vie nouvelle. Vous me direz que ce processus prend du temps et de l’énergie de la part des acteurs impliqués. Je répondrais là-dessus que, dans cet évangile, Jésus ne dit pas que c’est facile, que ça va de soi. Si c’était si facile, il n’aurait pas fait un si long discours.
L’espérance nous fait marcher vers un monde nouveau, chantions-nous au début de notre célébration. Le chemin pour y parvenir exige d’aller au-delà de la solution courte ; punir celui qui nous a fait mal, c’est assez simple à organiser. Prendre la route longue, celle qui recrée la communauté détruite et réinvente la fraternité, demande de faire appel à toutes nos forces vives.
L’évangile fait voir un autre aspect, aspect qu’ignore la justice réparatrice. Pardonner n’est pas nécessairement lié à la réconciliation effective avec le coupable, celui-ci pouvant refuser la réconciliation. Pardonner, c’est se refuser à faire le jeu de l’offenseur dont l’objectif est de faire mourir. Donner le pardon, c’est sortir de cette dynamique de mort pour retrouver la vie. C’est un acte de résurrection.
Dans l’Ancien Testament, les scènes de combats entre les armées ennemies sont extrêmement nombreuses; elles sont même valorisées. Voilà l’humanité en marche, semble-t-on dire. Là 1ère lecture présentant David refusant de tuer le roi Saül par respect pour sa personne me paraît rare. Jésus témoigne d’une autre mentalité, il inaugure un autre monde. « Il va au-delà… » de ce qui était jusqu’alors. Dans un court texte que nous lirons à la fin de la célébration, saint Paul affirme qu’agir ainsi, c’est agir à la manière du ciel, comme Jésus nous le fait voir aujourd’hui.
Dans le contexte de ce temps anxiogène, je nous souhaite de développer une mentalité de pardon dans les différentes sphères de notre vie. Souhaitons-nous cette mentalité si chère à Jésus.