Le troisième dimanche du Carême comporte normalement un appel à la conversion. C’est une sorte de figure imposée durant ce temps liturgique.
Dans une discussion assez animée avec des membres de l’équipe préparant cette célébration, plusieurs se sont montrés réfractaires à un appel à la conversion qui serait assorti d’une menace, comme c’est le cas dans le discours qui précède immédiatement la présentation de notre parabole. S’il fallait inclure les deux incidents d’actualité auxquels il est fait allusion, le prédicateur devrait alors se débrouiller pour harmoniser ce qui paraît difficilement conciliable. Il parlera de l’urgence de la conversion assortie à la patience d’un Dieu miséricordieux. Ces contorsions me sont épargnées puisque ce passage un peu inquiétant n’a pas été retenu, ressemblant trop à une interpellation à la manière de Jean-Baptiste : « convertissez-vous, sinon… »
Ce Jean-Baptiste d’ailleurs avait une compréhension bien limitée de la miséricorde de Dieu. Il s’inscrivait toutefois dans une longue tradition qui réclame la sainteté du peuple de Dieu et l’incite à renoncer aux idoles et à toutes les formes d’injustice. Tous les grands moments de l’histoire d’Israël en sont jalonnés, jusqu’à la venue de Jésus qui incitait tout à la fois à se convertir et à croire en la Bonne Nouvelle. Si j’ai bien compris, les membres de l’équipe ne s’objectaient pas vraiment à l’urgence de se convertir, ils réagissaient surtout à une sanction rattachée à un refus ou non réponse.
Il faut bien convenir que la menace est une ressource dans les stratégies éducatives, mais pas forcément la plus efficace, surtout pour des enfants devenus grands !
Cet appel est-il un reproche, un jugement sur nos manières de vivre, comme une réprobation d’un Dieu toujours dans l’insatisfaction à l’endroit de ses êtres humains, trop humains ? Évidemment, nous ne sommes pas des anges, mais est-il besoin de nous le rappeler ? N’y a-t-il pas le risque d’exaspérer les grands enfants que nous sommes ?
Nous n’avons retenu que la parabole dont l’accent porte sur la miséricorde de Dieu. Ce choix évite l’appel à la conversion couplé à une possible sanction, il écarte aussi la dimension « volontariste » de la conversion. Elle n’est plus le résultat d’une réflexion sur son agir plus ou moins conforme aux valeurs évangéliques, mais un accueil de la miséricorde de Dieu dont il sera aussi question ces prochains dimanches.
La conversion nous mérite-t-elle la miséricorde de Dieu ? Ou peut-on encore parler de conversion quand on croit à la miséricorde de Dieu ? Comme le veut le dicton, « on n’attire pas les mouches avec du vinaigre ». Qui d’entre nous serait venu à la foi sous le coup d’une menace ? Notre adhésion au Christ n’est-elle pas plutôt une réponse libre que nous faisons de tout notre être à son amour ? Dieu veut pour nous la vie. C’est un choix qui nous est offert constamment et qui exige une réponse réitérée, renouvelée. La conversion signifie dans son sens originel « se tourner vers Dieu ». S’il faut parler grec, il s’agit du mot « meta-no-ia » que j’ai retenu grâce à une explication japonaise qui reprend les lettres-syllabes du mot meta-no-ia, en les renversant. Cela donne « ai no tame », en français : « pour l’amour ».
C’est l’amour qui produit la conversion, qui l’appelle. Ainsi, tout appel authentique à la conversion doit nécessairement être un appel à aimer, et aussi à s’aimer, à retrouver sa dignité d’enfant de Dieu.
Si on se reporte à la première lecture, déjà, dès les débuts de la grande histoire sainte, Dieu se présentait résolument en défenseur de son peuple opprimé par la tyrannie des Égyptiens. Dieu se révèle à Moïse à la fois comme un Dieu personnel et libérateur, désireux de faire voir son salut. Le malheur humain l’atteint. C’est cette même compassion qui animait Jésus et qui nous fait demander prier pour la paix partout dans le monde, pour toutes les victimes de tous les potentats. « J’ai vu la misère de mon peuple » … « J’ai entendu ses cris » … « Oui, je connais ses souffrances » nous répète encore sa Parole qui soutient notre espérance. Tous les peuples broyés par la souffrance, tous les peuples cernés par les chars de violence et de haine peuvent y trouver refuge. Tous les pauvres et les affligés le savent : Dieu entend. Nos cris sont entendus par sa miséricorde, par son cœur qui veut donner la vie en abondance.
Le mal répugne à notre Dieu. Pâques que nous allons bientôt célébrer est la victoire définitive sur toutes les forces du Mal, la maladie, le péché et la Mort. La parabole de l’évangile nous le présente comme ce jardinier qui ne désespère pas de sa vigne, même improductive depuis trois ans. Il n’y a rien pour lui laisser croire que de meilleurs résultats se présenteront, mais il fait tout pour enrichir son environnement de sorte qu’elle finisse par porter du fruit. Il lui donne sa chance. Comme Dieu nous offre le temps nécessaire… à notre conversion, ou si vous préférez, à notre fécondité.
En quoi consistera-t-elle? Notons que d’après l’évangile, elle tient surtout dans l’effort que Dieu nous prodigue sans jamais se décourager. Dieu fait tout son possible, ne recule devant rien, même pas devant un certain réalisme qui serait du défaitisme.
Il n’y a qu’à notre liberté de concourir à son travail, à son investissement de confiance en sa créature.
L’appel de Dieu nous presse de nous situer sous son regard de Dieu, en fils et en fille bien-aimés. Ici, maintenant, avec Dieu, cultiver l’espérance ! Être avec le Christ et sa promesse de vie, voilà la conversion attendue de nous. Il n’y a pas de fatalité. Pas de Dieu exécuteur de décrets de justice. Dans un monde incertain où tout peut nous tomber dessus, nous vivons avec cette assurance que nous sommes au temps de la miséricorde.
La conversion, notre conversion ne doit rien au hasard, beaucoup à notre liberté, et encore plus à la miséricorde de Dieu qui nous appelle patiemment à une fécondité de vie. Mettons donc notre espoir dans le Seigneur !