« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne (Jean 14, 27) ». Le thème de notre célébration « La paix donnée et recherchée » a sans doute été suggéré par ce verset de l’Évangile de Jean que nous venons de proclamer. Il a probablement retenu l’attention à cause des nombreux conflits qui sévissent un peu partout dans le monde. La guerre entre Israël et le Hamas ou à celle de la Russie contre l’Ukraine, ne sont pas les seuls, mais ils sont de loin les plus médiatisés et ils créent des tensions jusque chez nous.
Nous qui nous disons disciples de Jésus et qui estimons que sa Parole nous est adressée encore aujourd’hui, pouvons-nous vraiment croire que Jésus nous donne sa paix, alors que nous recherchons désespérément la paix pour notre monde et que nous ne savons pas très bien comment contribuer à la faire advenir?
Cette question nous rejoint le jour où, en assemblée générale, nous allons discuter des orientations de notre communauté. Est-ce par hasard? Ne pourrait-on pas y voir un appel à penser l’avenir de notre communauté à partir de ce thème de la paix donnée et recherchée?
Il me semble que c’est ce qu’on a voulu suggérer en choisissant, comme première lecture, un extrait dans lequel Paul la lance cette exhortation aux chrétiens de Colosse : « (…) que, dans vos cœurs, règne la paix du Christ à laquelle vous avez été appelés, vous qui formez un seul corps » (Colossiens 3, 15). Mais qu’est-ce donc que cette paix du Christ et comment peut-elle nous toucher et nous transformer comme communauté?
Nous ne sommes pas les seuls à nous poser ces questions. Le nouveau pape, Léon XIV, a évoqué « la paix du Christ » dès sa première intervention et à plusieurs reprises par la suite. J’ai relevé quelques-uns de ses propos susceptibles de nous éclairer.
Quelles ont été les premières paroles publiques du pape Léon, lors de sa Bénédiction Urbi et Orbi (8 mai 2025)? « Que la paix soit avec vous! » En rappelant qu’il s’agit de la première salutation du Christ ressuscité à ses disciples, le pape Léon a précisé : « C'est la paix du Christ ressuscité, une paix désarmée et désarmante, humble et persévérante. Elle vient de Dieu, Dieu qui nous aime tous inconditionnellement. »
Une semaine plus tard, au cours d’une rencontre avec les membres du corps diplomatique « accrédité près le Saint-Siège » selon l’expression consacrée, le pape Léon a développé davantage sa pensée sur la paix (16 mai 2025. Je cite :
« Trop souvent, nous considérons ce mot comme “négatif”, c’est-à-dire comme la simple absence de guerre et de conflit, car l’opposition fait partie de la nature humaine et nous accompagne toujours, nous poussant trop souvent à vivre dans un “état de conflit” permanent : à la maison, au travail, dans la société. La paix semble alors n’être qu’une simple trêve, une pause entre deux conflits, car, malgré tous nos efforts, les tensions sont toujours présentes, un peu comme des braises qui couvent sous la cendre, prêtes à se rallumer à tout moment. »
« Dans la perspective chrétienne – comme dans d’autres expériences religieuses – la paix est avant tout un don, le premier don du Christ : “Je vous donne ma paix” (Jean 14, 27). Elle est cependant un don actif, engageant, qui concerne et implique chacun de nous, indépendamment de notre origine culturelle et de notre appartenance religieuse, et qui exige avant tout un travail sur soi-même. La paix se construit dans le cœur et à partir du cœur, en déracinant l’orgueil et les revendications, et en mesurant son langage, car on peut blesser et tuer aussi par des mots, pas seulement par des armes. »
Et il ajoute encore que, l’expérience religieuse peut jouer un rôle essentiel dans ce travail sur soi-même : « (…) l’expérience religieuse est une dimension fondamentale de la personne humaine, sans laquelle il est difficile, voire impossible, d’accomplir cette purification du cœur nécessaire pour construire des relations de paix. » C’est à partir d’un tel travail, conclut-il, qu’il « est possible d’éradiquer les prémices de tout conflit et de toute volonté destructrice de conquête. Cela exige également une sincère volonté de dialogue, animée par le désir de se rencontrer plutôt que de s’affronter. »
Dans la suite de son exposé il précise que la poursuite de la paix « exige de pratiquer la justice », et qu’on ne peut pas construire des relations réellement pacifiques sans vérité et sans charité, sans « le souci de la vie et du bien-être de tout homme et de toute femme ».
Enfin, lors d’une rencontre avec les représentants d’autres Églises et d’autres religions (19 mai 2025), le pape Léon a évoqué le rôle que peuvent jouer les religions dans la construction de la paix et de la justice : « Dans un monde blessé par la violence et les conflits, chacune des communautés ici représentées apporte sa contribution de sagesse, de compassion, d'engagement pour le bien de l'humanité et la sauvegarde de la maison commune. Je suis convaincu que, si nous sommes en accord et libres de tout conditionnement idéologique et politique, nous pourrons dire efficacement “non” à la guerre et “oui” à la paix, “non” à la course aux armements et “oui” au désarmement, “non” à une économie qui appauvrit les peuples et la Terre et “oui” au développement intégral. »
Voilà tout un programme, que nous sommes invités à nous approprier de façon créative, comme individus, comme communauté et comme société. Je crois qu’il peut nous aider à repenser notre vision communautaire et chacun des quatre piliers sur lesquels elle repose, soit la célébration, la recherche de sens, la fraternité et l’engagement.
Je termine en reprenant les mots de la prière d’ouverture de ce midi : la paix « est à la fois notre don et notre mission ». Que l’Esprit « nous éclaire pour qu’elle s’établisse fermement en notre cœur et en notre communauté, et que nous puissions en témoigner pour notre temps. »