La fête de l’Ascension est une fête un peu compliquée. Si on s’intéresse à Jésus seulement, c’est un peu comme la fête du Christ-Roi puisque Jésus est élevé au ciel, dans la gloire, à la droite de Dieu. Si on la considère du côté des disciples, ce n’est pas tout à fait une fête, puisqu’ils ne comprennent pas encore le sens de l’événement. Et comment fêter une séparation ? Il nous faut aussi éviter de trop anticiper la Pentecôte, le don de l’Esprit, la nouvelle présence du Ressuscité auprès des siens. Ce sera pour la semaine prochaine. L’Ascension nous place un peu entre ciel et terre : un entre-deux pour nous faire apprécier tout ce qui précède et se tourner vers un avenir différent, dans la nouveauté de l’Esprit.
Il y a nettement un mouvement ascendant dans les lectures qui nous sont présentés aujourd’hui. Il y a bien sûr l’ascension de Jésus qui monte « au ciel ». « Tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux ». Très bien, c’est dans l’ordre des choses, Jésus retourne vers son Père, il retrouve la gloire qu’il détenait avant même le commencement du monde. Mais, aussitôt, deux hommes vêtus de blanc – sans doute des anges – interpellent les disciples : « Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? ». Cela sonne comme une sorte de reproche. Par ce regard, les disciples semblent « s’accrocher » à la présence physique de Jésus, comme s’ils ne veulent pas le laisser partir. Ils sont ramenés à leur mission, à garder les pieds sur terre, jusqu’à son retour dans la gloire. Voilà bien l’orientation, de cette fête : verticale pour Jésus, horizontale pour nous !
La venue de Jésus en ce monde apparaît comme un aller-retour. Dans son incarnation, il s’est fait l’un des nôtres, il a habité parmi nous. Voici qu’aujourd’hui, il retourne d’où il vient. Mission accomplie. Il n’y aurait plus qu’à bien garder son message, à y être fidèle pour vivre de la réalité du Royaume de Dieu qu’il a annoncé.
Mis à part le détachement, la séparation que marque l’Ascension, les disciples auraient de quoi être désemparés. Comment pourront-ils témoigner du Règne de Dieu s’ils sont laissés à nous-mêmes ? Jésus investit en eux une grande confiance, mais les disciples seront-ils en mesure de répondre à son appel de proclamer son nom parmi toutes les nations, d’annoncer le pardon des péchés ? Jésus les rassure, bientôt ils seront revêtus d’une puissance « venue d’en haut ». Voilà encore un mouvement, cette fois, de haut en bas, une sorte de nouvelle incarnation de Jésus, mais pas une réincarnation, ni de reprise de ce qu’ils avaient jusque-là connu en sa compagnie.
Jésus est « descendu », il a quitté la gloire qu’il détenait pour présenter le visage de Dieu son Père. Il remonte vers lui. C’est l’aller-retour. Le mouvement ne s’arrête pas là. L’Esprit viendra sur les disciples et leur donnera la force de remplir leur mission. Ils seront investis de cette puissance – qui se déploie dans la faiblesse humaine et dans la foi–, ils auront au cœur cette présence qui les poussera à témoigner de l’amour de Dieu pour l’humanité entière, jusqu’aux extrémités du monde. Au moment de l’Ascension, ce n’était toujours pas l’horizon des disciples qui rêvaient d’un Jésus glorieux dont ils formeraient la garde rapprochée. Nos rêves, nos ambitions –surtout lorsqu’elles sont illusoires – ont un caractère obstiné. Les disciples ne semblaient pas prêts à y renoncer, eux qui se voyaient au haut de l’échelle en compagnie de Jésus !
Pour réaliser leur mission, ils n’auront plus à regarder vers le ciel pour y trouver un secours. C’est en eux que cette puissance résidera. L’esprit leur présentera des espaces étonnants, encore inexplorés : tous les peuples qui ne connaissent pas encore la puissance de salut de Dieu, oui, mais aussi, tous ces lieux que la Loi avait interdits. La miséricorde, puisque c’est cela que les disciples auront à annoncer, la miséricorde rejoindra tous ses destinataires.
Les exclus, les pécheurs, les laissés pour compte, tous ces invisibles de la terre, l’Esprit nous rends maintenant capables de les voir. Ceux et celles qui appartiennent au monde d’en-bas seront relevés, élevés, remis dans leur dignité. L’Ascension, c’est le début de l’élévation de l’humanité.
Jésus, dans sa bénédiction, a changé le regard de ses disciples. Ils le reconnaissent maintenant comme leur Seigneur. « Ils se prosternèrent devant lui », dit l’Évangile. Mouvement vers le bas, mouvement d’humilité : leur mission sera au service de ce Seigneur, à sa gloire. Il sera avec eux. Nous aussi, nous le suivons sur cette terre jusqu’à ce que son règne soit établi. Alors, ce sera un nouveau mouvement vers le haut. Nous entrerons nous aussi dans sa gloire, nous partagerons sa divinité.
Oui, grâce à Jésus, il y a beaucoup de va et vient entre le ciel et la terre. L’Ascension nous prépare à cet événement décisif de la « descente » du Saint-Esprit. Voilà qui saura « remonter » les disciples et nous aussi. L’Esprit saint ne nous laissera pas tomber !