« Le ruisseau des jours aujourd’hui s’arrête et forme un étang où chacun peut voir, comme en un miroir, l’amour qu’il reflète pour ces cœurs à qui je souhaite de vivre leurs espoirs ». Vous aurez reconnu un couplet de cette chanson qui, depuis sa création sur la Montagne un soir de saint Jean nous accompagne pour marquer nos anniversaires, ou saluer une personne qui nous est chère : « Gens du pays ». Elle retentit aujourd’hui, en ce jour de fête. Oui, « gens du pays, c’est votre tour de vous laisser parler d’amour! Avec un peu d’avance, Bonne fête nationale ! Bonne Saint-Jean !
Depuis 1977, la Saint-Jean-Baptiste avec sa parade qui faisait pendant à la St-Patrick des Irlandais, s’est détachée de ses origines religieuses pour devenir « la fête nationale », moment de réjouissances, à proximité du solstice d’été. Notre nation célèbre son histoire, ses espaces, son identité, sa diversité, sa culture propre, dans une volonté de rassembler toutes les personnes qui s’y rattachent, qu’elles soient de souche ou transplantées. Les gens du pays, ensemble, veulent vivre leurs espoirs.
Jean le Baptiste que nous fêtons aujourd’hui portait les espoirs du peuple de Dieu. Il lui reviendra d’annoncer la venue du Messie si longtemps attendue. Sa naissance mystérieuse au sein d’un couple déjà vieux laissait déjà pressentir la vocation unique de cet enfant. Dans les jours qui ont suivi sa naissance, les gens s’interrogeaient : « Que sera donc cet enfant? ». Nous sommes maintenant en mesure de répondre à cette question, en retenant trois caractéristiques qui pourraient aussi colorer notre fête nationale. Jean Baptiste était un rassembleur, un homme qui parle vrai, un prophète de l’espérance.
Les récits évangéliques notent avec insistance l’immense popularité de Jean le Baptiste. Il impressionnait, au point où on se demandait s’il n’était pas le Messie. Sans doute avait-il une personnalité charismatique. De partout, les gens accouraient pour l’entendre et être baptisés par lui. Pensez donc ! Son baptême conférait le pardon des péchés ! On l’a comparé au prophète Élie, mais contrairement à cet illustre personnage, nulle part, on ne lui attribue quelque prodige ou miracle qui lui aurait valu la faveur des foules. Jean baptisait. Jean préparait un peuple à celui qui devait venir. Il faisait bon accueil à tous, indifféremment. Il se tenait dans un lieu neutre, non relié à quelque religion ou secte. Un peu comme la Sagesse désireuse de répandre le don de Dieu, Jean offrait la grâce à qui souhaitait la recevoir. C’était la grande aubaine de Dieu : c’est gratuit et c’est pour tous ! Jésus venu pour rassembler les enfants de Dieu dispersés ne pouvait souhaiter meilleur précurseur pour sa mission !
Alors que les divergences sont partout exacerbées, notre société québécoise n’est-elle pas en quête de figures rassembleuses ? Le populisme ou encore l’omniprésence du discours économique ne sont pas de nature à rallier l’âme d’un peuple, à lui donner la cohésion nécessaire pour dessiner son avenir. Une vision de société est-elle possible par-delà les déchirements sur les budgets à allouer aux différents secteurs d’activités ? Dans ce débat, la culture est rarement vue comme prioritaire alors que l’usage de la langue française enregistre un sérieux déclin dans la métropole. Jean le baptiste offrait le baptême et le peuple se précipitait. Notre Québec aurait-il à dépasser le matérialisme ambiant pour accéder à son identité, être fidèle à ses racines, se réapproprier les valeurs évangéliques qui l’ont façonné ?
Jean était un homme qui parle vrai. Il attirait les foules, mais n’avait pas un discours de complaisance. S’il faisait montre d’ouverture, il avait une parole authentique qui engageait son auditoire. Ses appels à la conversion ne se contentaient pas de réponses superficielles. Il demandait un changement de cœur. C’est ainsi qu’il accueillait assez froidement les « engeances de vipères » à la sincérité douteuse. Il réclamait des actes de respect, de justice et de partage. Notre vivre-ensemble dans le Québec d’aujourd’hui ne suppose-t-il pas une parole capable d’affirmer les valeurs du peuple sans exclusivisme, capable de conciliation sans compromissions, capable d’une attention aux plus vulnérables, sans s’aliéner l’ensemble de la population ? Qui aura le courage d’un Jean Baptiste pour demander l’adhésion à des choix difficiles ? Une parole vraie est-elle encore possible dans une société aux intérêts multiples et divergents, où la tentation serait de se réfugier dans le silence ?
Enfin, Jean, malgré des paroles fortes au ton parfois menaçant, était un prophète de l’espérance. « Il faut que lui grandisse et que moi je décroisse », disait-il. Tout le contraire du discours narcissique. Il invitait ceux et celles qui venaient vers lui à se tourner vers l’autre, plus grand que lui. Par sa prédication, il incitait le peuple à croire en cette venue depuis si longtemps annoncée. Il prêchait de se convertir pour s’ajuster à cette espérance, pour l’accueillir d’un cœur droit et sincère. Il voyait déjà la lumière, lui, « la lampe qui brûle et qui luit », qui par toute sa vie a rendu témoignage à la vérité, qui a annoncé un temps de grâce. Ah! si de tels prophètes d’espérance pouvaient surgir en notre pays !
Nous qui nous réjouissons aujourd’hui de sa naissance, à son exemple, prenons part à sa mission de rassembler le peuple de Dieu, efforçons-nous de parler vrai, pour témoigner fidèlement de notre espérance. Faisons-le pour tous « ces cœurs à qui nous souhaitons de vivre leurs espoirs ». Gens du pays… c’est votre tour !