À première vue, notre homme riche de l’évangile est dans une situation enviable. Il est au-dessus de ses affaires. Contrairement à la plupart d’entre nous, il n’a pas à s’inquiéter pour son avenir. Il ne lui reste qu’à avoir assez d’espace pour engranger ses récoltes et bien profiter de la vie.
Le confort dont il jouit offre un solide contraste avec la réalité que plusieurs éprouvent : l’abondance plutôt que la pénurie, la sécurité plutôt que la précarité, l’assurance de jours tranquilles plutôt que des lendemains incertains. C’est un homme privilégié, comblé de richesses. En fait, il n’a pas d’autre souci que ses richesses!
Il ne fait aucun doute qu’il est content de lui-même, très satisfait, mais est-il heureux ? N’a-t-il pas tout pour être heureux ? Oui… mais, nous soupçonnons que quelque chose lui manque. Que lui manque-t-il donc ? Il n’a pas vraiment la foi puisqu’il idolâtre son avoir et que Dieu est complètement absent de son discours. Il est aussi dépourvu de charité puisqu’il est vraiment seul au monde, isolé dans ses richesses, les greniers pleins, le cœur vide. Plus que tout, il lui manque l’espérance !
Même s’il n’a rien d’un désespéré, même s’il se projette dans un futur sans tracas, il est dépourvu d’espérance. Il rejoint la malédiction : « malheureux êtes-vous, vous qui êtes rassasiés ! ».
Son grenier est rempli, débordant. S’il était un homme pieux, il en rendrait grâce à Dieu. Il n’en a que pour possessions. Notre homme riche est possédé par ses richesses. Il est devenu à lui-même son propre Dieu. Il ne lui vient pas non plus à l’esprit de partager avec d’autre(s) l’abondance de ses biens. Il nie sa fragilité et se complait dans une fausse toute-puissance.
Le riche de l’évangile se parle à lui-même. Toute son ambition consiste à ne s’occuper à l’avenir que de lui-même. Dans son dialogue intérieur, personne d’autre que lui n’existe. Jésus ne mâche pas ses mots en plaquant sur ce comportement le jugement sévère de Dieu : « Tu es fou! »
Le riche se pensait bien sage. Il était en contrôle de sa vie présente et future. Le voilà traité d’imbécile parce qu’il a eu la sottise « d’amasser pour lui-même au lieu d’être riche en vue de Dieu ».
Dans la tradition biblique, la richesse était vue comme un signe de la bénédiction de Dieu. Le pauvre, au contraire, pouvait se croire objet de malédiction. Jésus est venu clarifier les choses. Être riche et sans souci, ce n’est pas sa vision d’une vie humaine réussie.
La richesse comporte le risque de perdre Dieu de vue. Que faire pour garder Dieu bien en vue ? L’évangile nous suggère fortement de tourner notre regard vers ce qui demeure, d’investir nos vies non pas pour nous-mêmes mais pour Dieu et son Royaume. Les personnes qui vivent en situation de désespérance pourront toujours retrouver l’espoir au contact de gens qui se préoccuperont de leur sort. Mais pas d’issue pour le riche enfermé en lui-même et qui voudra sans cesse constituer son propre royaume, s’appartenir, vivre pour soi et être vraiment heureux.
L’homme riche de l’Évangile jouissait d’une fausse autonomie, d’une fausse liberté. Il ne le savait pas, mais dans cette attitude, il passait à côté de la vie véritable. Jusqu’à l’avertissement de Dieu, il se croyait peut-être éternel avec tous ses biens qui le rassurait. Il ne le savait pas, mais son âme était morte. Avec cette parabole, Jésus tentait de réveiller ceux et celles qui vivent enfermés dans leur propre univers, sans autre horizon qu’eux-mêmes, leur argent, leur confort, leur sécurité.
Voilà où l’évangile rejoint la première lecture. Jésus a voulu montrer la vanité d’une vie sans Dieu, sans prochain, et sans espérance. Mystérieusement, les êtres humains ont tous en eux quelque chose de cet homme riche. Nous sommes constamment en recherche de sécurité. Nous accumulons des biens.
Leur possession loin de nous satisfaire augmente encore notre avidité. Nous désirons toujours plus. Nous voulons nous protéger contre toutes les adversités sans trop nous rendre compte que nous nous protégeons contre la vie. Notre univers devient tellement encombré qu’il n’y a plus de place, ni pour Dieu, ni pour les autres. Il y a l’aliénation du pauvre qui manque des biens essentiels, il y a celle du riche englouti dans son monde saturé, blindé, isolé, imperméable à Dieu, au prochain, à l’existence même.
Comment tourner notre regard vers Dieu, sinon en contemplant le genre de vie qu’a vécu Jésus, une vie pour Dieu et pour les autres, une vie donnée. L’évangile nous interroge : qu’est-ce qui donne valeur à nos vies ? Qu’est-ce qui nous fait vivre ? La richesse peut-elle vraiment représenter le but d’une existence ? Pour bien répondre à ces questions, la perspective de notre mort peut être salutaire. Que reste-t-il à la fin ? La deuxième lecture nous invite à ne pas nous occuper seulement de ce qui appartient à la terre. « Faites donc mourir en vous ce qui n’appartient qu’à la terre ».
De façon plus positive, il nous est demandé de nous conformer à l’image du Créateur, de nous renouveler sans cesse en vue de la pleine connaissance. Nous devons rester vivant, c’est-à-dire inachevé, jamais vraiment en repos. C’est tout le contraire de l’immense satisfaction du riche de l’évangile qui, tourné sur lui-même avait perdu tout appétit de connaître et d’aimer Dieu. Espérer, c’est rester en appétit de vie et d’amour.