« Marie retenait tous ces événements… »
Guy Lapointe
Guy Lapointe
Luc
2, 16-21
« Marie retenait tous ces événements et les méditait
dans son cœur… » Ce passage m’a toujours étonné par
son évocation d’intériorité. Elle repassait en son
cœur ce qu’elle a vécu depuis des mois; comme si elle pressentait
que la mise au monde de Jésus n’était pas terminée,
la dépassait, tel un moment d’extase. Bien des peintres ont merveilleusement
reproduit ce moment.
On le sait d’expérience, il y a des moments dans la vie qui nous donne à penser, où on est invité à entrer en nous-mêmes. Le changement d’année, le Jour de l’An me paraît être de ces moments privilégiés. Il y a comme une lenteur dans cette fête, lenteur que l’on ne retrouve pas à Noël, par exemple, où la nervosité est plus palpable, avant et jusque dans la fête.
Je pense toujours à ce moment du Jour de l’An, au matin de mon enfance. Après être allé communier à l’église paroissiale, à la messe de 6h30, — à cette époque, personne ne communiait à la grand’messe — nous revenions à la course à la maison pour la distribution des cadeaux. Mais avant, vers 7h, mon père, jusque là invisible, réunissait les quinze enfants au salon pour la bénédiction du Jour de l’An. Il était, bien sûr, accompagné de ma mère qui versait toujours quelques larmes. Un moment solennel… Nous nous mettions à genoux. On sentait l’émotion, chez tous les enfants, mais particulièrement chez mon père qui, comme les pères de cette époque se sentait bien gêné de poser ce geste, dans la pratique, réservé au curé. On le savait, — c’était plus qu’une rumeur ou qu’un secret de famille — mon père se levait plus tôt, non pour aller communier comme nous, mais pour prendre un petit verre de gin (peut-être deux), afin de pouvoir affronter la famille en la bénissant… Quel beau moment! Quel beau souvenir! Souvenir qui nous fait sourire quand on s’amuse à le raconter, mais souvenir intense, moment d’intériorité. À quelque part, le temps s’arrêtait.
« Marie retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur ». Je l’imagine une femme simple, discrète; je l’imagine passionnée de Dieu et des êtres humains, une femme qui prend le temps… C’est tout ce qu’elle avait vécu qui la porte, qui ne la quitte plus. Surtout quand on sait que dans la culture religieuse de cette époque, chercher et trouver Dieu semblait surtout réservé aux hommes.
Marie ne comprenait certainement pas tout de ce qu’elle vivait, comme nous d’ailleurs… Mettre au monde un enfant, c’est un travail qui dure plus que neuf mois. Mettre au monde, c’est accompagner également tout au long de la croissance de l’enfant. Je crois sans trop pouvoir l’exprimer, quand mon père nous donnait sa bénédiction, c’était tout cela qu’il vivait et qui passait à travers sa formule parfois hésitante, avec la perception que cette bénédiction du Jour de l’An ne lui appartenait pas. Elle était trop large pour lui.
Le mystère de donner la vie est immense, lourd à porter. Méditer : se centrer sur soi, ou mieux entrer au plus profond de soi-même, là où il y a des espaces insoupçonnés. La réalité humaine est toujours plus riche que ce que l’on en voit. C’est le mystère de Marie; tout comme chacun/e de nous porte en lui son propre mystère. Comme Marie, nous gardons bien des événements dans nos cœurs. Mais, c’est de cette méditation que peuvent sortir des gestes, des façons d’être et de vivre. Dieu l’habite à travers cet enfant… Elle savait qu’elle devrait transmettre à cet enfant le goût de Dieu et le goût du monde. Car cela s’acquiert. C’est une aventure avec tous ses défis.
Marie, la mère de Jésus, on célèbre Marie, en ce jour comme mère de Dieu… Elle ouvre l’humanité à Dieu, elle participe à la mise au monde de Dieu. Elle est d’abord une femme, avec une sensibilité et les espoirs de femme, mais elle est aussi elle-même avec ses qualités et ses limites… Comme nous tous. C’est aussi cela son mystère… Elle cherche à comprendre comment Dieu et l’humain créent ensemble le monde nouveau à naître… tout est à accomplir. Tout reste à faire.
Le Jour de l’An, journée et temps des souhaits. Je nous souhaite que nous nous donnions du temps et des espaces pour pouvoir nous « ramasser », nous recueillir dans le monde dans lequel nous vivons et que nous voulons construire le plus beau, le plus solidaire et convivial et évangélique possible. Ces temps sont nécessaires pour nous retrouver. Vous aurez remarqué, je l’espère, que dans nos célébrations dominicales nous avons introduit des plages de silence précisément pour nous recueillir — ensemble.
Je nous souhaite également que, comme croyantes et croyants, comme communauté, nous ayons confiance en notre vie de foi et que nous puissions rejoindre et travailler avec les personnes de toutes traditions religieuses ou autres, pour rendre notre monde plus habitable, plus humain.
Un souhait que vous trouverez peut-être un peu fou. Je le tiens de quelqu’un d’autre. Devant l’utilisation politique que trop de groupes religieux, même le nôtre, font de Dieu, je souhaite et je prie pour Dieu, pour qu’il ne lui arrive rien… Dieu est fragile, fragile comme l’amour.
La vie est un éternel engendrement. C’est pourquoi on a besoin de nous souhaiter la vie, la confiance, l’espérance pour construire ce monde qui — c’est un souhait — ne donnera jamais plus la mort à personne, même au plus grand des tyrans. Rendre grâce aussi et surtout pour la présence de Dieu qui se faufile dans nos vies, dans nos travaux et nos jours.
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