Voilà un bien court texte sur lequel développer une homélie
qui ait une longueur raisonnable. Tâche difficile pour qui manque
d’expérience comme moi. C’est par ce texte d’Évangile,
par la méditation de ce texte que nous sommes invités à entrer
en carême. Qu’est-ce que cela veut dire pour nous, le carême,
pour nous à Saint-Albert ? Traditionnellement, ce mot désigne
la période de quarante jours (ou à peu près) qui
précède Pâques, qui nous prépare à la
joie de Pâques. Ceux de mon âge se souviennent des règles
de privation que nous étions fortement invités à respecter,
comme faire maigre et jeûne, expression qui fait un peu sourire
de nos jours. Même s’il n’est plus guère question
de cela maintenant, il reste que le carême nous est proposé comme
un temps de réflexion et d’intériorité qui
nous amène à Pâques. Et pour nous, aujourd’hui
et ici, le contexte dans lequel nous sommes appelés à cette
réflexion est particulièrement éprouvant. Nous
vivons une période trouble, où la crise économique
frappe durement, et nous voyons parmi nous ou autour de nous des situations
dramatiques qui interdisent toute indifférence de notre part,
qui nous appellent à réagir. Il est difficile de ne pas être
choqué par la cupidité des uns et attristé par
les malheurs des autres. Et ce n’est certainement pas l’idéologie
d’hyperconsommation recommandée par une certaine culture
ambiante qui règlera ces problèmes. De même, les
blessures que nous infligeons à notre environnement et dont
nous prenons de plus en plus conscience, ne préparent rien de
bon pour nos enfants et petits-enfants. Sans vouloir être alarmiste,
on peut craindre que nous ne soyons en train de leur préparer
une sorte de déluge si nous ne changeons pas nos façons
de penser et d’agir.
C’est dans ce contexte difficile que nous pouvons puiser dans l’évangile
d’aujourd’hui de quoi nourrir notre réflexion. Nous
y voyons Jésus, après son baptême par Jean, poussé au
désert par l’Esprit. Après la révélation
lumineuse qui lui fut donnée à ce baptême, Jésus
est amené à une longue période de réflexion
(quarante jours) par laquelle il se prépare à prendre une
décision cruciale pour la poursuite de sa mission. Le désert,
ce lieu de solitude et de privation, était sans doute plus près
de ses chemins qu’il ne l’est pour nous. Notre civilisation
bourdonnante ne nous permet plus beaucoup de nous isoler pour méditer,
et pourtant cette période de carême devrait nous inciter à retourner
en nous-mêmes, à retrouver une certaine intériorité, à remonter à nos
sources. Dans le désert, où Jésus resta quarante
jours, il est tenté par Satan. Le récit de Marc est ici
très rapide, n’offre aucun des détails sur les tentations
que les autres évangélistes nous donnent. Mais l’important,
me semble-t-il, est que cette mention de la tentation fait signe vers
l’humanité de Jésus, qui a partagé nos fragilités
et les a pleinement assumées. Il a été soumis aux
tentations, aux difficultés qui nous assaillent tous.
La pointe du récit me semble être dans la suite : le
départ de Jésus pour la Galilée et sa proclamation
de la Bonne Nouvelle de Dieu. Car le retrait de Jésus au désert
a dû être pour lui le lieu et le moment d’une réflexion
décisive, fondamentale, existentielle et que tout être humain
doit faire aux moments cruciaux de son existence, et où on se
demande, et où Jésus a dû se demander : « Qu’est-ce
que je fais de ma vie ? » Peut-être la tentation
de Satan à Jésus était-elle la tentation de la facilité,
de se trahir lui-même ou de trahir la confiance que son Père
avait mise en lui, la tentation de douter de sa mission, de douter de
Dieu même ? Mais le départ de Jésus, sa décision
de proclamer le Règne de Dieu, c’est là le signe,
discret mais indiscutable, de la victoire de Jésus sur Satan.
Jésus inaugure ce nouveau départ par sa décision
d’annoncer, de proclamer publiquement la Bonne Nouvelle de Dieu.
Mais qu’y a-t-il de bon dans cette Bonne Nouvelle ? Voici : « Les
temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche ».
Il y a là un tournant décisif, fondamental, lourd de conséquences,
pour Jésus, ses disciples qu’il va à l’instant
prendre avec lui, et pour nous. Cette proclamation demande une décision,
une action, un engagement à changer nos façons de penser
et d’agir. Il poursuit : « Convertissez-vous » :
il ne s’agit pas ici de la conversion au sens classique et un peu
désuet (« Changez de religion » ou « Revenez à la
religion » !), mais d’une invitation à changer
plus profondément nos attitudes, à passer du « cœur
de pierre » au « cœur de chair »,
une invitation à croire à la Bonne Nouvelle, à faire
confiance à l’avènement du règne de Dieu,
un règne d’amour, de justice et de paix. Cette « Bonne
Nouvelle » n’est pas seulement celle dont Dieu a confié la
diffusion à Jésus, elle est aussi une Bonne Nouvelle relative à Dieu,
l’annonce d’un tournant dans l’attitude de celui-ci
envers les hommes, en somme d’une nouvelle alliance entre Lui et
nous. Bien qu’il reste une réalité à venir,
le règne de Dieu est déjà invisiblement présent
dans la prédication qui en est faite, par Jésus d’abord,
mais aussi par nous tous qui devons prendre sa place aujourd’hui.
C’est ce que le Dieu de Jésus attend de nous, que nous prenions
une décision, que nous prenions action pour nous convertir, pour
changer, pour accueillir et construire ensemble le royaume de Dieu. Puissions-nous
ainsi nous préparer à la fête de Pâques, à nous
réjouir de l’alliance de Dieu avec nous dans le Christ ressuscité !