Genèse 22, 1-2.9 10-13. 15-18
Marc 9,
2-10
Transfiguration
Ils
sont en marche vers Jérusalem. Depuis un bon bout de temps ils vont
ainsi par les routes. Ils ont appris à se connaître. Les disciples
ont bien saisi à travers les paroles du maître, à travers
ses gestes, son attention aux autres – surtout pour les plus petits,
les plus fragiles – qu’il apporte vraiment une libération,
qu’il fait bon marcher avec lui, qu’il fait lever au cœur
une espérance d’avenir. Mais la question demeure toujours :
Qui est-il vraiment? Jusqu’où faut-il aller? Jusqu’où peut-il
conduire?
Et lui,
Jésus, il ne les aide pas à sortir de leur questionnement. Parce
qu’il veut être entendu, qu’il appelle à marcher avec
lui, et qu’en même temps il leur recommande toujours le silence
sur sa personne et ses gestes. Il est parfois d’une audace inouïe,
d’une liberté bouleversante, mais il se montre aussi hésitant
face à sa mission. Jusqu’où aller? À qui s’adresser? À un
groupe choisi, élu d’avance, à son peuple, ou au grand
large, à ces païens dont on se méfie tant, qui sont comme
une menace bien plus que comme une promesse. Il n’est que sympathie pour
toutes les détresses, pour tous les besoins humains, mais il est si
dur avec les pharisiens, les scribes, les chefs du peuple, tous ces gens bien
pensants qui sont pourtant eux aussi en manque au-delà de leurs
certitudes apparentes.
Les disciples
sont inquiets, déconcertés par Jésus. Ils saisissent mal
qui il est en toute sa réalité. D’autant plus qu’il
vient de leur dire qu’il doit aller à Jérusalem pour y
souffrir beaucoup et y mourir. Aurait-il renoncé à sa mission,
baissé les bras, avouant un échec, la fin d’un rêve?
Ils marchent pourtant encore avec lui, restant attachés à la
beauté de sa parole et de son désir. Mais le cœur est lourd.
Ils ne comprennent pas. Ils sont un peu comme Abraham quand il marchait vers
le lieu du sacrifice. Cette demande incroyable de Yahvé : un sacrifice
sauvage, celui de son propre fils, de celui qui devait assurer la réalisation
d’une promesse d’un avenir sans limites. Est-ce possible? Dieu
se renierait-il lui-même? Il ne comprend pas Abraham, mais il ne peut
non plus revenir sur cette confiance, cette fidélité, cette foi
qui jusque là l’a fait vivre.
Et voici
qu’un jour, en chemin, un événement se produit pour les
disciples – et pour Jésus. Cette lumière soudaine, un peu
plus que le temps d’un éclair. Et son visage! Comme si le voile
de la familiarité, de l’habitude, du trop prévisible possible était
retiré. Ils le voient tel qu’il est vraiment, tel qu’il
accepte d’être, et non plus tel que le monde et eux-mêmes
acceptaient de le voir, tel que le monde l’avait fait, le réduisant
en ces seuls possibles que l’on ne veut pas dépasser par crainte,
par angoisse de découvrir ce qui changerait sa propre manière
d’être, difficile souvent, mais quand même rassurante.
Que s’est-il
passé vraiment? On ne le saura jamais. Plus tard, quand les trois disciples
qui l’avaient accompagné sur la montagne – les trois mêmes
qui seront avec lui au jardin de l’agonie – voudront raconter l’événement,
ils se verront au défi de dire l’indicible. Ils emploieront alors
des images pour traduire ce qui avait été pour eux réel
et certain. Des images pour dire qu’alors, en un instant, ils ont cru
comprendre, que de toutes façons, alors, leur espérance s’est
relevée, qu’ils ont consenti à poursuivre la route même
quand l’ombre est revenue en descendant de la montagne. Ils avaient retrouvé l’énergie
pour avancer comme s’ils voyaient l’invisible. Jésus lui-même
a été atteint par l’événement. Une voix qui
s’est fait entendre en lui : « Tu es mon fils, mon bien-aimé. » Il
est conforté en sa vision de sa mission. Il retrouve le courage qu’il
faut pour aller à Jérusalem pour y affronter en toute lucidité le
rude passage qu’il
Pourtant,
même avec le courage retrouvé, l’espérance rafraîchie
et illuminée, il faut descendre de la montagne et continuer, tenir encore
dans la fragilité, la précarité de la foi qui ne dit pas
tout. Mais désormais, tout est différent pour les disciples.
Comme Abraham autrefois, ils ont vécu une expérience de Dieu;
non pas de Dieu en lui-même, mais de Dieu pour eux, avec eux. Expérience
de Dieu qui arrête le bras de la mort pour forcer le regard vers la vie
qu’il veut et qu’ail aime.
Et nous
en tout cela? Si souvent, en nos temps difficiles, en nos peines personnelles,
nos pertes, nos manques, nos besoins, nous sommes comme Abraham, comme
les disciples. Comme Abraham confronté à la manière d’agir,
du laisser faire apparent de Yahvé. Comme les disciples qui viennent
d’entendre l’annonce de la mort du compagnon de route, l’annonce
de la fin possible d’une aventure qui faisait la vie, qui donnait goût
et couleur aux jours. Comme eux, nous avons besoin, non pas tant d’être
réconfortés, mais d’être rappelés à la
pleine réalité des choses et des événements, à la
pleine réalité de qui nous sommes vraiment, bien au-delà de
ce que l’on veut voir en nous, de ce que l’on veut faire de nous.
Pour nous aussi une expérience de Dieu est possible. De Dieu pour nous,
avec nous. Une expérience qui se vit dans le silence de la prière,
de la réflexion. Qui se vit tellement dans le partage. Partage dans
l’attention aux difficultés et bonheurs des autres autour de nous.
L’attention des autres pour nous en nos difficultés et bonheurs.
Une expérience qui se vit dans des rassemblements comme le nôtre
ce matin : le chant partagé, la parole partagée, le pain
partagé.
Une expérience qui tourne notre regard vers les duretés de
ce monde, pas seulement pour en dire la tristesse ou s’en désoler,
mais pour nous rappeler que nous avons des bras et des mains pour entrer
dans le combat vers un monde plus humain.
Une expérience
qui tient beaucoup de la foi et de l’espérance qui ne disent pas
tout, ne sont pas comme une assurance contre tous les risques. Qui demeurent
fragiles et précaires. Mais qui changent la vie. Qui dévoilent
la vie au-delà de toutes les morts.
Une
transfiguration pour Jésus, pour les disciples. Et pour nous, une
lumière qui traverse les nuées et fait reculer toutes les
obscurités. Nous savons maintenant, à cause de lui, qu’il
n’y a pas que l’obscurité. Que la lumière dépend
aussi de nous.
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