Un foule à nourrir
C’est de nous dont il parle
La multiplication des pains. Cet événement a tellement frappé l’imagination
et la foi des premiers chrétiens qu’on le retrouve raconté six
fois dans les évangiles. Je ne crois pas me tromper en disant que
ce récit nous a rejoint surtout dans sa dimension spectaculaire?
Plutôt que de multiplication des pains, j’aime mieux parler
du récit « de la foule à nourrir » qui
dit mieux l’aspect communautaire de cette expérience. Ce récit
parle d’une foule qui suit Jésus jusque dans la montagne.
Jésus sent que cette foule a faim; et cette foule cherche un sens à sa
vie; une foule qui tend la main. Pour qu’il y ait partage du pain,
on a besoin de la main. Ce récit parle de l’attention de Jésus,
de sa délicatesse envers les personnes qui le suivent. Jésus,
lui aussi, tend la main à la foule. Ne serait-ce pas pour nous un
engagement à un vrai souci des autres? Ce que j’aimerais appeler,
au sens fort du terme, une « présence réelle » (pléonasme) à l’autre.
Un des disciples, André, fait remarquer à Jésus qu’il
y a un jeune garçon qui a cinq pains et deux poissons. Jésus
interpelle ses disciples, en leur disant : « Faites-les
asseoir ». En fait, Jésus demande à ses disciples,
comme à nous d’ailleurs, de prendre leurs responsabilités.
Si Jésus posait le geste tout seul, ce serait un récit de
la multiplication des pains. Mais prendrions-nous conscience aujourd’hui,
demain que chacun/ne de nous a à développer des gestes de
partage? N’est-ce pas cela la présence du Christ dans l’eucharistie?
Faire en sorte que le pain, avec toute sa symbolique d’ouverture à l’autre,
soit partagé. Là est son corps vivant : « prenez
et partagez, prenez et buvez… » Ce geste de la main tendue
pour prendre le pain et le vin est au cœur de la présence
du Christ.
Ce récit fait maintenant partie de notre histoire de foi. On le
retrouve en cette fête du Saint-Sacrement du corps et du sang du
Christ, de la Fête-Dieu. Les mots pour dire cette fête révèlent
un certain embarras C’est l’occasion de nous resituer comme
femmes et hommes qui vivons de ce pain vivant, et désirons partager
ce pain et cette coupe pour faire mémoire de Jésus et du
monde. N’est-ce pas d’abord cela le sens de la Fête-Dieu?
Une fête que je trouve très significative, mais qui a pris
des dimensions autres autour d’une conception de l’eucharistie
qui, à mon sens, perd sa dynamique de partage et d’attention à l’autre.
L’eucharistie, qui est au cœur de l’expérience
de foi, est un apprentissage à accueillir et à donner et
que le corps du Christ est là à se construire avec nous, à rester
vivant avec nous. Cette fête a suscité de grandes manifestations
de foi et de folklore dans les rues; mais elle nous convie à une
quête de sens. L’adoration n’est-elle pas aussi dans
la qualité des gestes que l’on fait : gestes d’attention,
geste de partage, geste qui manifeste que Jésus est vivant.
C’est ce que les parents, dans leur plus grande liberté,
vont tenter, je l’espère, de transmettre à leurs enfants
qui seront baptisés. Je pense que maintenant et dans l’avenir,
la transmission de l’expérience chrétienne, l’accueil
de la foi se fera dans des rencontres comme celles que nous vivons ce midi,
mais aussi et surtout dans une évangélisation, un christianisme
de conversation et de gestes, plutôt que de grandes
manifestations. N’est-ce pas ce que Jésus a tenté de
vivre? Il converse avec les personnes rencontrées… Converser
avec les autres, parler, à partir de notre quotidien ou d’événements
spéciaux. S’interroger à même l’Évangile
et des façons de vivre. C’est un défi immense. La pertinence
de l’Évangile, dans un monde en pleine évolution, se
vivra dans cet esprit de conversation et de gestes.
Le geste du baptême des trois enfants, Judith, Joseph et Côme
interroge les parents, parrains et marraines, et nous aussi. Que faisons-nous
de l’Évangile? Qu’en ferons-nous? C’est toujours
le défi de la vie.
Mais une chose est certaine, s’il y a des assemblées, particulièrement
le dimanche, qui mettent le temps, l’énergie, l’intelligence,
la foi pour réapprendre constamment le sens de l’eucharistie,
alors, le récit de nourrir la foule, des gestes comme celui de baptiser
un enfant prendront un tout autre sens. La Fête-Dieu nous rappelle
que nous sommes invités à un partage du pain, et on ne peut
même pas laisser se perdre les restes. Pourquoi? Parce qu’il
viendra peut-être d’autres personnes. L’eucharistie est
une table du monde et doit rester ouverte, comme ce que nous tentons de
faire depuis des siècles dans nos églises avec toutes les
difficultés que l’on rencontre. On est parfois porté,
dans la célébration eucharistique, à nous retirer
dans une sorte de repli personnel, alors que l’intention de Jésus,
au soir de la Cène et dans tous les jours de sa vie est de nous
rassembler de nous tourner vers les autres.
La communion est de soi tension vers le large, ouverture aux autres, proposition
de Vie. Je termine par une double question : sommes-nous heureux de
nous retrouver et d’accueillir les autres? Apprenons-nous à mieux
tendre la main? Car célébrer un baptême d’enfant
ou célébrer l’eucharistie, ce ne sont pas seulement
des gestes rituels, mais c’est aussi un appel à se lever et à agir.