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L’obole de la veuve

32e Dimanche du Temps Ordinaire (B)

8 novembre 2009

Laurent Dupont
Laurent Dupont

Marc 12, 41-44

Assis dans le Temple en face de la salle du trésor, Jésus regardait comment la foule mettait de l'argent dans le tronc. De nombreux riches mettaient beaucoup. Vint une veuve pauvre qui mit deux petites pièces, quelques centimes.
Appelant ses disciples, Jésus leur dit : « En vérité, je vous le déclare, cette veuve pauvre a mis plus que tous ceux qui mettent dans le tronc. Car tous ont mis en prenant sur leur superflu; mais elle, elle a pris sur sa misère pour mettre tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre. »

S’il y avait une parabole d’Évangile à sauvegarder à tout prix, je choisirais peut-être celle de l’obole de la veuve tant celle-ci, par son attitude, est une icône du Christ Jésus.

Cette courte anecdote nous situe d’emblée sur le terrain de la générosité folle, déraisonnable. La générosité, nous la pratiquons tous… mais prudente, raisonnable, prévoyante. C’est ce que Jésus s’amuse à regarder en observant les gens qui mettent de l’argent dans le tronc du Temple. Beaucoup de gens riches y mettent de grosses sommes. Mais ça n’impressionne pas Jésus : il reste indifférent. Par contre, son regard est attiré, comme aimanté, par le geste d’une veuve pauvre qui fait une offrande dérisoire : deux sous, deux piècettes. Mais, affirme Jésus, c’est de son nécessaire qu’elle donne. Elle aurait pu au moins offrir une des deux pièces, c’aurait été raisonnable… Non, elle offre tout son nécessaire : « Amen, je vous le dis, cette pauvre veuve vient de mettre dans le tronc plus que tout le monde. » Curieuse arithmétique que cette nouvelle équation évangélique : « Il a PLUS donné, celui qui a TOUT donné, même s’il a PEU donné. Les deux sous de la veuve ont plus de valeur aux yeux de Jésus que les grosses sommes des autres. Dans le commentaire de Jésus, deux mots nous agacent, peut-être parce qu’ils nous culpabilisent : le superflu et le nécessaire. Qui voudrait ne pas se sentir généreux quand il donne, surtout s’il donne beaucoup; mais on sait bien aussi que tant que ça ne mord pas sur notre nécessaire, on reste loin des ‘folies’ de l’évangile. Bien sûr, à l’occasion, on a tous envie de cette générosité folle, de faire des folies, mais ce qui nous retient, c’est la peur des lendemains. On se dit : « Et si demain, ce que je donne venait à me manquer? » Alors la belle flambée de générosité s’éteint aussitôt.

Seule la foi, la confiance en la vie, et en Dieu qui donne la vie peut exorciser la peur de manquer. Pourtant le propos de l’évangile est on ne peut plus clair : « Votre Père connaît vos besoins. Quand vous le priez, dites : donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. » Certains ajouteraient volontiers : « … et le pain de demain » Mais demain, justement, aurai-je encore un emploi? une retraite suffisante? Demain, qu’est-ce qui va me tomber dessus, un accident, une maladie grave? Toutes ces considérations ne sont pas propices pour cultiver la générosité folle de l’évangile. Pourtant Jésus s’adresse à nous comme à ses disciples : « Amen, je vous le dis, cette veuve a pris sur son indigence, elle a donné tout ce qu’elle avait pour vivre. » Comment ne pas se référer ici à Jésus lui-même qui va tout donner, à l’heure de la Passion. Oui, cette veuve est une des plus belles images de Jésus. Elle fait éclater le don et la confiance qui est à sa source : Je te donne tout, Dieu et Père, parce que je te fais confiance totalement. Voilà pourquoi Jésus l’admire. Elle est de sa race.

Reconnaissons-le, faire confiance à Dieu à ce point ne va pas de soi. Dans le monde présent où nos lendemains se préparent de longue date, où l’on cherche à éviter tous les risques possibles par des assurances de toutes sortes, s’en remettre à Dieu – à ce point là – c’est de la pure folie! D’ailleurs, cette parabole, comme tant d’autres ne nous invite pas à résoudre de façon simpliste la question ici posée. L’abandon filial ne se confond pas avec l’insouciance ni avec l’imprévoyance. La sollicitude avec laquelle la Providence entoure les oiseaux du ciel, voire nos écureuils, ne les empêche pas de participer et de collaborer – et Dieu sait avec quelle prévoyance et ténacité – au déroulement et à l’accomplissement de la création de Dieu. Mais attention, les enfants de Dieu que nous sommes, peuvent-ils agir comme s’ils étaient seuls au monde, comme s’ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes, que sur leurs seules ressources, comme des orphelins abandonnés. Je ne sais quel croyant a trouvé la bouleversante formule : « le Père de demain est le même que celui d’aujourd’hui. » Car finalement le geste de la pauvre veuve vient ébranler nos consciences quelque peu paganisées. Nous sommes enfants de Dieu, tout l’évangile nous le révèle. Nous ne sommes pas des orphelins : « Le Père de demain est le même que celui d’aujourd’hui. »

Oui, la veuve du Temple symbolise en quelque sorte l’attitude de Dieu lui-même. Lorsqu’Il envoie son Fils dans le monde, notre Dieu ne donne pas de son superflu, il se donne lui-même. Comme pour la veuve, « il a tout donné, tout ce qu’il avait pour vivre. » Osons le dire, il a même donné de son ‘indigence’, de sa pauvreté. Bien sûr, Dieu est infiniment riche, mais riche en amour.
Là est le paradoxe évangélique : richesse en amour et pauvreté de cœur sont indissociables. Aller au bout de l’amour, c’est renoncer à soi-même et à sa suffisance, c’est aller jusqu’à l’effacement de soi dans l’humilité du regard porté sur l’autre dans l’amour.
Mieux encore que la veuve du Temple, Dieu dans la Pâque de son Fils nous révèle sa pauvreté. Il est en manque d’amour et d’enfants jusqu’au fond du Cœur. Son dénuement en Jésus est le signe de la soif d’amour qui l’habitait, et l’habite éternellement. Dieu est infiniment riche de sa pauvreté. Car c’est de son indigence qu’il ne cesse de donner.

Le Christ Jésus, nous le savons et nous le croyons, a offert jusqu’à sa propre vie afin que la multitude de ses frères et sœurs en humanité ait part à sa gloire lorsqu’Il reviendra. Gardons-nous d’édulcorer ces convictions de foi, surtout quand on célèbre l’Eucharistie, mémorial de la Pâque du Christ mort et ressuscité.


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