De la lecture de Baruc, aujourd’hui, j’ai retenu des paroles
de soutien, d’accompagnement, d’encouragement à se
tenir debout, à faire face. De justice aussi. Essentiellement,
il nous engage à faire confiance, à se faire confiance.
De l’épitre de Paul émanent l’espoir, la
joie et l’espérance, la lumière aussi.
Quant à la longue liste rébarbative des Grands dans l’ouverture
de l’Évangile de Luc elle m’a souvent retenue d’aller
plus loin. Dommage! Car j’ai ainsi, évidemment, perdu
la substance du message. Je la reconnais depuis (cette liste) comme
importante puisqu’elle n’y figure que pour mieux être
ensuite écartée : Que Dieu, parmi toutes ces éminences
du moment, choisisse de s’adresser au plus
petit dans le Royaume,
donne en effet à penser. Et soudain, en écoutant bien
nous entendons sa voix puissante, digne : une
voix qui nous crie l’attente d’un monde nouveau où les montagnes seront
abaissées, les murs tomberont et les péchés seront
chose du passé. Et, au-delà de l’écoute,
il nous incite à nous mettre au travail, à nous mettre
en chemin.
Plus je m’appropriais ces textes plus ils me rappelaient l’essence
du métier de travailleuse sociale que j’ai eu le privilège
d’exercer jusqu’à récemment. L’écoute
y était centrale, mais, sans l’espoir d’un monde
meilleur je n’aurais pas pu accompagner - encore moins soutenir
- ces exclus de la terre, trébuchant sur leur chemin, qui ont
eu le courage, avec tant d’humilité, de frapper à ma
porte.
En tous temps et lieux il y a eu des hommes grands, puissants (comme
on l’a vu dans l’Evangile), de savants exégètes.
Et notre communauté n’en est pas exempte. Alors, quand
on m’a demandé de prendre ici la parole, j’ai été passablement
surprise. Et puis, en chemin, j’ai fait confiance et je me suis
fait confiance. D’ailleurs, puisque je comprends qu’une
homélie s’entend comme un petit entretien familier - je
me sens bien à l’aise d’adopter un style qui me
convient mieux. Une histoire remplacera donc ce matin la docte exégèse à laquelle
nous sommes habitués.
C’est l’histoire d’un itinéraire humain, avec
ses chemins tortueux, semés d’embûches, d’une
voix entendue dans un lieu inattendu, et d’écoute et d’espérance
et de lumière au bout de ce chemin où les murs sont enfin
tombés et les montagnes se sont aplanies.
L’histoire pourrait s’appeler Une
petite fille et son péché.
Il y a longtemps, longtemps, sa famille avait confié à sa
grand-mère, une grand-mère pieuse, très pieuse,
son éducation religieuse. La petite fille et son péché adorait
sa grand-mère et tout naturellement elle l’accompagnait
autant de fois qu’il fallait aux messes du dimanche, comme, à l’occasion,
en semaine, ne comprenant pas grand-chose à toute cette affaire-là sauf
qu’il fallait y aller, se tenir tranquille sans dire un mot.
Or, la petite fille et son péché habitait sur le même
palier qu’un jeune tailleur très gentil pour elle: il
lui offrait tant et tant de jolis rubans colorés, des boutons
dorés, de tout petits bouts de tissus rutilants et doux au toucher… qu’elle
voulait bien passer de longs moments chez lui tout seuls… Mais
voilà, la petite fille et son péché avait beau
n’avoir que 7, 8, 9 ans, elle avait bien appris et intégré que
c’était très mal, que c’était un péché ce
qui se passait chez son ami le tailleur. Et la
petite fille et son péché s’est enfermée petit à petit
et de plus en plus profondément dans son secret. Elle se sentait
bien seule la petite fille et son péché; si désemparée
et écartelée entre sa loyauté envers le gentil
tailleur, le besoin de se confier à quelqu’un, et la honte
suprême de trahir la religion et sa grand mère. Elle était
persuadée, la petite fille et son péché, que personne
ne pouvait vraiment l’aider, tellement ce qui l’étouffait
lui semblait monstrueux. Qui allait la croire de toutes façons?
Qui laverait sa tâche?
Elle ne s’est surtout pas confessée la
petite fille et son péché, Oh! .elle confessait bien qu’elle mentait
un peu, qu’elle chipait un morceau de pain ou de chocolat de
ci de là... mais cela, non! Elle avait trop honte, trop peur,
face au Bon Dieu; c’est sûr : les mots ne viendraient
pas dans le confessionnal obscur. Toute terrorisée qu’elle était,
emprisonnée dans son état de péché mortel
la petite fille et son péché a fait, comme il était
prévu, sa première communion, parée Ô sacrilège!
de sa belle robe blanche d’organdi. Rongée, pendant plusieurs
années encore, par la honte d’avoir trahi l’Église
et la condamnation des flammes de l’enfer auquel bien sûr,
elle avait été nourrie.
Puis la petite fille et son péché a grandi, a quitté sa
gentille grand-mère qui avait été si bonne pour
elle. Et la petite fille et son péché est devenue une
grande fille qui avait oublié apparemment, sa grand-mère,
son Église et son péché.
Enfin devenue très grande fille, bien longtemps-longtemps après,
avec un ami qu’elle aimait beaucoup-beaucoup elle est entrée
dans la prochaine Église, loin, très loin de son passé.
Et là, quelque chose est arrivé : à sa grande
surprise elle comprenait ce qui s’y disait dans une langue qu’elle
connaissait… et il n’y avait plus les gens tout en noir
et tristes autour d’elle, plus d’or ni de tentures, plus
de séparation en avant, plus de grands gestes mystérieux
qui s’y tramaient. C’était tout simple… Mais
surtout, surtout, elle s’est mise à écouter, la
très grande fille… elle écoutait… éberluée… enchantée… Elle écoutait
car pour la première fois, la personne qui parlait là-bas
s’adressait à elle aussi, en fait elle s’adressait
directement à elle, semblait-il : on lui parlait des choses
de la vie, des relations avec les autres, de la guerre au Vietnam,
de la nécessaire Paix, des Droits des Noirs et des Pauvres,
de violence et des revendications des femmes.. et d’espoir aussi… Cet
homme d’Église allait jusqu’à inciter le
monde en face, autour de lui, à rester révolté, à participer
aux débats sociaux de l’heure, à manifester avec
lui dans la rue, à dénoncer l’injustice, tout ça
en souvenir et sur les traces de Jésus Christ qui était
le modèle et La Voie…
La très grande fille a surtout compris quelque chose d’encore
plus important… Elle a compris le péché, la peur
et l’enfer… elle a compris que tous les murs que l’Église
avait érigés autour d’elle ce n’était
pas ça l’essentiel… elle a compris que Jésus
a pardonné. Et surtout elle a pardonné à son tour… enfin
délestée du poids de la honte et du péché,
entrevoyant au loin une lumière libératrice et bienfaisante… Et
elle a continué à écouter, écouter en particulier
ceux restés sans voix. C’est incroyable : depuis
lors elle a passé sa vie à écouter... et aussi à espérer, à soutenir
et à crier et même tenter de faire tomber des petits murs,
autour d’elle, à son travail, et même parfois en Église
aussi…
Il est vrai : certains murs sont tombés autour de nous.
Qui oserait culpabiliser aujourd’hui cette petite fille et la
condamner en plus? Dépassé n’est-ce pas? Pourtant,
les forteresses institutionnelles et les prisons psychologiques ne
manquent pas. Comme nous l’avons entendu en début de célébration.
En ce 6 décembre, triste 20ème anniversaire de la tuerie
de Polytechnique, comment oublier, parmi tant d’autres, le mur
de la misogynie et sa violence? Oui, la route est encore longue!
Alors, écoutons bien la voix dans le désert qui trace
le chemin : ayons confiance, faisons tomber nos propres murs,
et mettons-nous au travail pour faire tomber les murs qui enferment
les autres. Aplanissons les montagnes, redressons les chemins :
le Seigneur nous rendra libres.