31e Dimanche du Temps Ordinaire (A)
30 octobre 2011
Comme Jésus, indignez-vous…
Guy Lapointe
Pas très facile de parler comme prêtre après ce que nous venons d’entendre. Le prophète Malachie dit : « Maintenant, prêtres, à vous cet avertissement : si vous ne prenez pas à cœur de glorifier mon Nom, j’enverrai sur vous la malédiction ». Tout un défi… Vous serez d’accord avec moi, la Parole de ce dimanche, j’avoue qu’elle a de quoi nous secouer, nous réveiller. Un appel à faire la vérité, là où les paroles et les gestes doivent se rejoindre.
Tout au long de la préparation de cette homélie, me venait à l’esprit cet appel, tel un mot d’ordre entendu à travers la planète : « Indignez-vous! » Ce mouvement, on le sait, a fait tache d’huile et continue de se répandre. Je m’imaginais Jésus descendant dans les rues, occupant pacifiquement l’espace public et aussi les églises en dénonçant, comme il avait l’habitude de le faire, l’attitude insupportable des privilégiés de son temps surtout parmi les religieux. Jésus s’indignait au nom de sa foi en Dieu et de sa foi en la vie.
Matthieu exprime cette attitude de Jésus en des passages extrêmement sévères qui peuvent nous laisser perplexes. Non, l’Évangile n’est pas seulement un récit du passé. Mais comment cette parole peut-elle nous rejoindre aujourd’hui? Ces personnages, très ou trop religieux du temps de Jésus, dont parle Matthieu, les retrouvons-nous encore aujourd’hui? Jésus parle, bien sûr, des scribes et des pharisiens de son temps, mais ces observations et sa colère peuvent nous rejoindre aujourd’hui. Oui, l’Évangile est pour ce temps. C’est un bon moment de vérité.
Il arrive que, devant certaines situations, on ait envie de s’indigner, comme le fait Jésus dans ce passage d’Évangile. Matthieu avait ouvert le récit de la vie publique de Jésus par les Béatitudes, — « heureux les pauvres de cœur, heureux les doux, heureux les artisans de paix » — le voici lancé, histoire de faire la vérité, dans une dénonciation de certaines attitudes des scribes et des pharisiens à faire trembler les synagogues les mieux enracinées. Ce qui, dans la pratique de la justice, était annoncé sous forme positive dans les Béatitudes est maintenant dénoncé dans ses contrefaçons. À la célébration des Béatitudes promises aux affamés de justice, succède la liste des exagérations. Parlant des pharisiens, Jésus utilise des expressions très fortes : « Ils chargent les épaules des gens », « Ils aiment les places d’honneur. », « Ils agissent pour être remarqués » en portant toutes sortes de rubans, qu’on appelle dans ce monde, des phylactères… De tous ces rubans qu’ils portent, les pharisiens et les scribes en ont fait les signes indiscrets d’un orgueil. Ils portent sur eux les parchemins de la Loi (Torah), mais le chemin de la vie, ils l’ignorent. Leur tenue vestimentaire leur tient lieu de compétence.
Pour Jésus, une seule chose compte : ouvrir l’Évangile dans la vie. Le transmettre avec douceur comme le dira Paul. Le donner avec affection. Avec tout ce que vous êtes… et surtout faire ce qu’on enseigne.
Jésus ne peut tolérer l’attitude de certains hommes de religion, des marchands de la parole. Vous, mes disciples, mes amis laissez tout cela à d’autres. La vérité que je veux, la fraternité que je recherche est au prix de ce débarras. Les personnes qui sont investies d’une mission doivent eux-mêmes d’abord écouter la Parole puis inviter les autres à se mettre à l’écoute ensemble. Sans cette écoute commune, pas de vraie communauté de croyants et croyantes. C’est quand on vit ensemble, à l’écoute de la Parole que nous pouvons faire la vérité sur notre vie et que la communauté se forme. Nous n’avons qu’un seul Père. Yves Congar, un Dominicain et un immense théologien de la période de Vatican II, a écrit ceci : « Je veux bien appeler le pape, Père, mais je refuse qu’il m’appelle son fils, car la paternité chrétienne ne fait pas des fils et des filles, mais des frères et des sœurs ». Cela donne à penser…
Mais au delà des mots et des expressions qui traduisent la colère de Jésus, ce qu’il cherche à dire, c’est que le service est au cœur de l’Évangile et qu’il prend la place centrale de son propos que nous accueillons aujourd’hui, car « le plus grand parmi vous sera votre serviteur ». Qu’on ne se méprenne cependant pas. Jésus parle bien de service et non d’esclavage. Il utilise bien le mot serviteur et il fait référence à une fonction de service pour porter son indignation. Nous sommes mis par Dieu, au service du mieux-être de l’humanité, pour faire la vérité.
La suite de cette homélie nous appartient : laisser cette parole faire son chemin en nous, nous redire que la vie, celle vécue et proclamée par Jésus, est de faire la vérité autant sur nos paroles et sur nos actes et nos comportements. En somme, rester éveillés et retrouver la capacité d’indignation devant certaines situations. On parle beaucoup aujourd’hui de « partage » de la Parole. Ne pas laisser à quelques-uns le monopole de la Parole. L’Évangile se lit et se vit dans un échange commun. Là on est sur une bonne voie, car écouter et partager la Parole c’est un moment de faire la vérité sur soi au regard de l’Évangile et devenir ainsi une Église qui joue de la fraternité, de la liberté et de la vérité.