24 décembre 2011
C'est Noël, c'est la fête de Jésus. Comme toutes les grandes religions nous célébrons la fête de notre fondateur. Et comme toutes les religions, la nôtre répond aux trois grandes questions de notre existence : D'où venons-nous? Qui sommes-nous? Où allons-nous? Tâchons d'explorer ces grands thèmes.
D'où venons-nous? C'est la question de l'évolution (la création, en langage biblique — c'est la même chose), de l'histoire linéaire si bien résumée dans la proclamation de la généalogie de Jésus que nous venons d'entendre il y a un moment : « Lorsque Dieu, au commencement, créa le ciel et la terre, de longs siècles après le déluge, plus de deux mille ans après la naissance d'Abraham… ». Complétons cette histoire, parlons du Big Bang de la création, de l'immensité de l'espace, de l'énergie et du temps, de cette accélération lorsque tout devient plus concret, plus près de nous. La création à toujours plus grande vitesse, la mer, la vie surgissante, les plantes, les bactéries, les mollusques, les poissons, les dinosaures et les baleines. Et toute cette superbe création qui grouille et s'accélère encore. Nous voici sur les arbres, puis dans les steppes, dans les caves, homo habilis, homo erectus, homo sapiens, puis chasseurs, paysans, Israélites barbus, Romains rasés.
Elle est étonnante, cette création, et superbe, du début primitif à la conquête de la lune et au-delà. Elle commence par la volonté divine et avance, toujours plus rapidement, pour arriver où nous sommes maintenant : dans une étable à Bethléem.
Cette création, cette évolution, cette histoire explique d'où nous venons. C'est le récit de notre création, de notre histoire qui comprend un début, un temps, et tout le concret, le détail de notre vie.
Qui sommes-nous? Après le drame et la terreur de l'histoire, du monde qui court de son début à sa fin, nous voici dans le calme, le confort et la chaleur du temps rituel. Le temps historique s'arrête. Nous sommes insérés dans la grande roue qui tourne lentement en passant par des étapes qui reviennent toujours. Un anthropologue a écrit sur « le mythe de l'éternel retour » qui est commun à toutes les religions.
Qui sommes-nous? Nous sommes ceux qui redisent chaque année que Dieu est devenu homme. Nous le connaissons tous par cœur, ce beau récit de Joseph et Marie, de ce Quirinius imprononçable, du bébé dans la crèche, des bergers, de l'ange qui dit « ne craignez rien » et de la troupe céleste qui chante « Gloire à Dieu ». Nous le connaissons, ce récit et nous le répétons. C'est la force du rituel : un récit qui affirme toujours de nouveau qui nous sommes, que le divin nous entoure, qu'il nous identifie et nous porte.
Qui sommes-nous? Nous sommes ceux qui redisent en ce moment de calme et de lumière, que la vie divine, en nous, renaît toujours et aura toujours raison de la terreur de l'histoire et la mort. Tout cela est marqué sur la grande roue qui tourne lentement, régulièrement, et qui ne connaît ni début ni fin, la roue de notre vie rituelle, liturgique, communautaire qui tourne d'étape en étape du temps sacré, du temps fort : Noël, Vendredi Saint, Pâques, Pentecôte et de nouveau Noël et ainsi de suite. À chaque étape de la roue nous célébrons une autre facette de la même vérité : Dieu parmi nous.
Qui sommes-nous? Regardez autour de vous et vous voyez le peuple de Dieu. Dieu est ici, pas ailleurs, pas à Jérusalem et de toute façon pas à Rome ou Genève, pas dans un autre monde, pas dans l'avenir, pas chez les anges. Nous sommes ceux qui fêtons Dieu parmi nous, Noël tous les jours de notre vie.
Nous devons laisser le temps sacré, le confort de la roue qui tourne lentement mais sûrement, pour replonger dans l'histoire ordinaire, la vie de tous les jours. La présence divine n'y est pas toujours belle et douce. C'est un monde de conflit, de misère, d'apathie. Mais c'est aussi un monde de promesse, d'amour et de vie. Dans le langage biblique, c'est un monde que Dieu a aimé.
Enfin: où allons-nous? Nous sommes dans notre monde historique qui pointe vers un avenir, une fin, la fin du monde. Et ça ne va pas très bien ici. Nous voyons les peuples qui souffrent, les inégalités qui montent, la planète salie, abusée. Et dans tout cela cette insécurité : où allons-nous? Qui peut prétendre savoir! Acceptons-le : l'avenir du grand monde, de cette superbe création, nous restera inconnu.
Mais pour notre petit monde à nous la chose est plus claire. Nous avons des balises pour notre avenir. En voici trois:
Première balise : Nous faisons partie de cette création que nous célébrons. Ainsi : ne jouons pas aux grands maîtres de l'univers. Nous sommes partenaires inter-dépendants, appelés à protéger la création, à veiller sur ce qui ne nous appartient pas, respecter le don de la terre et de la vie. Les Calvinistes appelaient cela « travailler pour la gloire de Dieu dans toutes nos actions ». Pas mal comme balise : « La gloire de Dieu dans toutes nos actions »!
Deuxième balise : Nous sommes humains, comme ce Dieu très humain que nous célébrons. Ainsi : ne jouons pas aux génies, aux héros, comme si nous étions supérieurs aux autres. Ce n'est qu'en respect mutuel, en collectivité et en égalité que nous pouvons être qui nous sommes appelés à être. Jésus appelait ceci l'amour du prochain. Pas mal comme balise!
Troisième balise : Nous avons tous un avenir devant nous — un jour, un an, le reste de notre vie. Et nous avons une direction à prendre sur notre chemin. Ainsi : ne jouons pas aux ignorants. Nos traditions culturelles nous donnent les règles de comportement, les modèles, les objectifs et les chemins à suivre. Nous pouvons nous afficher protestants ou catholiques, athées ou panthéistes, cela n'as pas d'importance devant notre créateur. Mais il me semble que ce que nous ne pouvons pas faire c'est prétendre que nous manquons de direction.
Voici nos grandes questions et quelques modestes petites réponses.
D'où venons-nous? De cette longue histoire qui mène du début du monde à Bethléem, de l'explosion primale à nos jours et au-delà. Nous sommes issus et partie de cette création.
Qui sommes-nous? Nous sommes ceux qui redisent dans le langage rituel que « Dieu est parmi nous ». Dans notre langage moderne nous disons que tout ce qui a force et sens et valeur dans l'univers est aussi là, chez nous.
Où allons-nous? Nous suivons les balises de respect pour le monde et pour nos frères et sœurs humains, les balises laissées par Moïse autant que Jésus, par Gandhi autant que Martin Luther King, qui nous dirigent à être pleinement ce que nous sommes déjà : les enfants de Dieu. En langage moderne : des personnes reconnaissantes et responsables.
En concluant, je veux vous raconter un souvenir de jeunesse lors de mon dernier Noël en Suisse. J'habitais un village dans les Alpes et il avait beaucoup neigé. Un groupe de jeunes m'avait invité à un rituel local : sortir dans la nuit noire, pour chanter quelques chants de Noël, de ferme en ferme. La dernière petite ferme était éloignée, isolée et coupée de la route par la neige et les avalanches. Malgré tout, nous y sommes arrivés et avons commencé à chanter. Une fenêtre s'est éclairée, puis ouverte et une vieille dame souriante, émerveillée, nous a remerciés. C'est là que le temps ordinaire s'est arrêté pour nous et le sacré a pénétré dans notre nuit de Noël. Les étoiles ont témoigné de la grandeur de la création. Notre chant a réaffirmé qui nous sommes. Et il n'y avait aucun doute où nous allions : nous étions dirigés, portés, aimés.
Après un long moment nous sommes redescendus dans notre monde ordinaire, les pieds froids et mouillés dans nos grosses bottes. Aucun doute : pendant un instant les anges avaient chanté avec nous : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ». Amen!