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1er Dimanche du Carême (B)

26 février 2012

Le désert, comme un grand silence…

Genèse, 9, 8-15
Marc, 1, 12-15

Guy Lapointe

Guy Lapointe

Un passage d’Évangile si bref mais combien évocateur. L’évangéliste Marc a l’art de décrire une situation avec peu de mots. Il rend bien ce sentiment d’urgence que Jésus semble éprouver. Le temps est venu pour lui de prendre la route… Il venait d’être baptisé. On voit le ciel s’ouvrir et une voix : tu es mon Fils bien-aimé… C’est beaucoup. Jésus sent le besoin de se retrouver lui-Guy Lapointemême. Marc dit :  « c’est l’Esprit qui le pousse au désert. Le verbe « pousser » est fort. C’est une nouvelle vie qui commence. Cela exige un temps d’apprentissage. Il dit tout simplement que Jésus, tenté dans le désert, vivait avec les bêtes sauvages et il était servi par les anges! C’est évoquer toute la création que décrivait l’extrait de la Genèse que nous venons d’entendre. Ce service des anges veut exprimer une relation intime avec Dieu. Le désert entre en lui.         

En relisant le passage de Marc, me revenaient à l’esprit deux réflexions qu’un de mes professeurs du cours classique d’autrefois – c’était dans les années 50’ – nous répétait souvent : « moins quelqu’un est clair avec lui-même, plus il est tenté de se fuir ». Et la deuxième : si vous voulez vraiment changer le monde, commencez par vous changer vous-même. Pour y arriver, il faut accepter la solitude; la solitude qui permet de se confronter avec soi-même, sans détour. Alors le désert dans lequel on se retire n’est pas d’abord situé dans l’espace. Il est dans l’intériorité. Jésus l’a fort bien senti.           

C’est l’Esprit qui pousse Jésus au désert, pour souligner que parfois, on ne choisit pas le temps et le lieu. Jésus au désert, c’est une nécessité intérieure. C’est l’homme qui cherche à être en paix avec Dieu et avec lui-même. Jésus, au désert, pour mieux saisir ce qu’Il cherche et ce qu’il veut; en somme, décider où il va et où il veut aller. Et oui, c’est le désert, comme un grand silence. Jésus en a le courage et y trouve la paix. Je dirais un grand moment de traversée de Dieu qui nous interroge.           

Nous entrons en carême, portant, je l’espère, de bonnes questions que l’on prendra le temps de recevoir. Des questions sur ce qui se passe en nous et autour de nous, sur le monde que nous fabriquons. Et nous portons des inquiétudes sur notre monde, sur notre vie de foi, sur notre Église, sur ce que nous devenons comme croyants et croyantes dans un monde, le nôtre, celui que nous construisons.          

À l’ère du texto et du twitter qui peuvent rendre d’immenses services, entrer en carême, n’est-ce pas un moment qui nous est offert et que nous accueillons pour aménager des espaces d’intériorité? Le désert est le lieu pour faire la vérité dans le silence et la rencontre de l’invisible en nous. Faire une place à l’invisible, à Dieu à ses manifestations dans le monde.      

Entrer en carême, c’est un défi par ces temps où, pour reprendre une expression de Charles Taylor, la foi chrétienne, pour plusieurs, semble « assiégée », ou mise en veilleuse et où il devient souvent difficile d’évoquer notre foi dans une conversation; et cette foi qu’il n’est pas toujours facile à exprimer et à vivre.   

Entrer en carême, c’est vouloir se donner du temps pour réapprendre l’Évangile comme un Bonne Nouvelle chez-nous, tout comme Jésus qui, après ce temps de désert, de profonde intériorité, retourne dans sa Galilée natale. C’est apprendre à faire Église autrement, accepter la fragilité profonde dans laquelle nous nous trouvons comme Église et relativiser l’importance de l’Institution qui heurte certains, et pour laquelle plusieurs ne cherchent même plus un sens et une pertinence.      

L’institution d’Église a besoin de retrouver les chemins du désert, d’un bon moment de solitude, comme elle l’a fait dans les années 60’ au moment du Concile Vatican II. Un temps de solitude et de profondes interrogations pour laisser tomber toutes les prétentions de pouvoir et se laisser « pousser » par l’Esprit, comme Jésus l’a fait. Que de travail! Oui, il faut des reprises intelligentes, des moments forts d’interrogations, des regroupements plus mobilisateurs, d’abord en nous et dans les lieux de proximité. Un auteur a donné ce titre à un livre : Une Église sans domicile fixe. Oui, une Église qui prend la route pour rejoindre les gens, là où l’Esprit nous mène et pas seulement au désert.        

Aujourd’hui, parler de Dieu, il me semble que ce ne soit pas d’abord tenir un discours sur Dieu, – on peut toujours se demander de quel Dieu nous parlons – mais, tout comme Jésus l’a fait, à sa sortie du désert : être à côté des personnes dans le besoin, près des personnes seules, des personnes âgées, des marginaux, des sans-travail, des jeunes en nécessité. Annoncer Dieu, c’est poser des gestes qui ressuscitent les personnes et les groupes qui se croient déjà morts. Jésus a posé des gestes et est entré en conversation avec les gens qui cherchent à comprendre, à se comprendre… Il a révélé ainsi un visage de Dieu. Et c’est à regarder vivre Jésus que nous pourrons, à notre tour, découvrir un visage de Dieu.        

Le carême, temps d’intériorité et de remise en question. Il ne dépend que de nous d’en faire un nouveau commencement. Jésus, grâce à l’Esprit, met le monde en mouvement, le réveille; un monde nouveau, avec des immenses défis à relever. Et, espérons-le, un nouveau visage de Dieu peut se dessiner à travers celui de Jésus et le nôtre et ce, dans les meilleurs moments de notre vie, à travers nos gestes, nos attitudes et aussi nos paroles. St Exupéry écrivait : « le désert, c’est l’espace où l’âme s’envole ». Effectivement, dans le désert, on marche, on prend la mesure de ce qu’on est, et on écoute le silence… C’est le défi de ce carême que je nous propose de relever, en regardant autour de nous et en nous pour voir les actions possibles à entreprendre ou à soutenir. Alors, bon carême et que chacune et chacun trouve, et surtout, habite son désert!

 

Communauté chrétienne Saint-Albert-Le-Grand de Montréal