Deuxième dimanche après Pâques (B)
15 avril 2012
Reconnaître Jésus
Édouard Potworoski
Le texte de l’évangile d’aujourd’hui m’a donné du fil à retordre depuis de nombreuses années. C’est pourquoi j’ai pensé partager avec vous un témoignage. Un bref témoignage de mon long périple avec Thomas.
Au début de mes études secondaires, j’avais un professeur de religion, fraîchement sorti du séminaire qui était extrêmement sûr de lui. Imaginez un peu des gamins de 10 à 12 ans qui ont en avant de la classe un type qui se bombe la poitrine : c’était entre un défi et une provocation. Alors on lui posait des questions : pouvez-vous nous expliquer la sainte trinité? Et l’immaculée conception? Mais même nos questions les plus difficiles n’arrivaient pas à faire ne serait-ce qu’une brèche dans l’armure de son assurance. Car il connaissait la réponse. Et la réponse était : d’autres beaucoup plus intelligents que vous ont déjà réfléchi à ces questions. Il vous suffit de croire. Sans poser de questions, et surtout sans exiger de preuves.
St Thomas avait demandé une preuve et Jésus lui a fait des reproches sérieux. Voulez-vous que Jésus vous fasse de sérieux reproches? Non, Monsieur l’abbé. Et nous n’avons plus posé de questions, et sommes restés pendant plusieurs années avec le spectre du gros méchant Thomas à qui Jésus faisait des reproches.
Les choses ont bien sûr évolué, et Thomas a été réhabilité, et pour le jeune chercheur que j’étais dans les années ‘60, c’était plutôt un gars qui savait se tenir debout, penser pour lui-même, qui ne se laisse pas embobiner par n’importe qui. Un type auquel il était facile et même agréable de s’identifier.
Mais, même avec Thomas réhabilité, le texte n’était toujours pas très clair : surtout ce dialogue cryptique entre Jésus et Thomas. Et c’est ici, je pense, qu’Il faut nous rappeler que les évangiles ne sont pas des textes historiques et que les évangélistes n’étaient pas des historiens. C’était des gens qui avaient un message et nous devons lire le récit différemment pour en découvrir le sens.
Pour moi, le sens de ce passage de l’Évangile est dans la rencontre. La rencontre d’importance colossale entre Thomas et Jésus. Thomas était l’archétype de cette génération qui a vécu à une époque charnière de l’Église, qui a connu Jésus avant sa mort et qui le rencontre maintenant après sa résurrection. Ces gens avaient comme défi de faire le lien entre d’une part ce Jésus qui allait aux noces, avec qui on buvait du vin et allait à la pêche, ce Jésus chez qui l’humain était prépondérant. Et d’autre part ce Jésus, qui n’est pas un fantôme, mais que l’on retrouve dans une pièce fermée à clé, ce Jésus transformé par la mort et la résurrection chez qui le divin est maintenant plus évident, ce Jésus de l’alliance nouvelle et éternelle. Faire le lien entre Jésus avant sa mort et Jésus après sa résurrection. Voici le défi auquel Thomas et ses contemporains devaient faire face. Et Thomas a vu Jésus, avant et après, et il a cru à la continuité entre le Jésus d’avant la mort et d’après la résurrection et du même coup il a vu toutes les conséquences et les ramifications de la résurrection. Et c’est au moment que se fait chez lui la lumière qu’il dit « Mon seigneur et mon Dieu. »
Et nous dans tout ça? Eh bien nous, 21 siècles plus tard, nous nous réunissons le dimanche à St Albert pour célébrer notre foi et pour écouter la parole de Jésus. Sa parole dans laquelle il nous a laissé une quantité de messages. J’en ai retenu trois qui sont particulièrement pertinents au thème d’aujourd’hui. Le premier, on le retrouve au début de l’évangile que nous avons entendu. « Comme mon père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » Il parlait à ses disciples enfermés dans cette pièce, certes, mais aussi à ses disciples de St-Albert. Les disciples du premier siècle ont répondu à son invitation en faisant communauté et en témoignant. Et nous aussi, disciples de St-Albert, nous tentons toujours de renforcer notre communauté entre les dimanches, et de témoigner de mieux en mieux « pour que rien de lui ne s’efface » comme dit ce si beau chant. Et dans un instant en écoutant les actes des apôtres nous pourrons décider si les communautés chrétiennes du premier siècle et celle de St-Albert, malgré leurs différences, proviennent quand même du même moule.
Le deuxième indice que j’ai retenu est cette parole de Jésus, cette parole qui au 21ème siècle prend tout son sens « Lorsque plusieurs sont réunis en mon nom, je suis parmi eux ». Nous sommes réunis en son nom, ici, aujourd’hui, et nous sommes conscients de sa présence. Comme ce fut le cas dans ce cénacle où se réfugiaient les disciples. Les disciples réunis en son nom. Et il s’est manifesté parmi eux. Ils étaient conscients de sa présence, comme nous le sommes aujourd’hui.
Le troisième indice pertinent que Jésus nous donne est pour que nous sachions comment le reconnaître pour pouvoir interagir avec lui. Thomas l’a reconnu, car il l’a vu. Mais à nous, Jésus dit : « J’avais faim et tu m’as nourri. Ce que tu fais au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que tu le fais ». Je trouve que c’est tellement plus concret de reconnaître, d’aimer Jésus et d’interagir avec lui à travers notre prochain que de le faire avec le héros d’une histoire qui a eu lieu il y a 2000 ans! Reconnaître Jésus chez notre prochain, et l’aimer à travers notre prochain.
Dans quelques instants, nous prierons, tous ensemble, le Notre Père. Est-ce que nous saurons reconnaître la main que Jésus nous tend? Si c’est le cas, alors je pense que même si nous n’avons pas vu, nous aurons cru et que, dans le sillon de Thomas, nous sommes vraiment bienheureux.