Quatrième dimanche de Pâques (B)
29 avril 2012
Le bon berger et ses brebis
Hubert Doucet
Plusieurs membres de notre assemblée, surtout québécois de souche, ont peut-être du mal à se laisser toucher par les images de cet évangile, nous parlant du berger et de ses brebis. Nombreux étaient les hommes et les femmes de ma génération, venus à l’âge adulte vers la fin des années ’50, début des années ’60, qui ne voulaient surtout pas être des moutons. Nous étions déçus des autorités civiles et religieuses, donc les pasteurs du temps, que nous jugions nous prendre pour des moutons. Comme le disait une égérie de la Révolution tranquille : « Si tu te comportes comme un mouton, il ne faudra pas te surprendre d’être tondu. » Un grand geste d’affirmation a consisté à faire disparaître le petit mouton nous représentant lors de la parade de la Saint-Jean-Baptiste. Nous rêvions d’un monde autre.
Cette histoire de rupture, si nécessaire fût-elle, ne peut cependant en cacher une autre. Une ou deux décennies plus tard, des hommes et des femmes, en quête d’un équilibre de vie embrassant l'expérience humaine dans toutes ses dimensions, faisaient le choix de se consacrer à élever des agneaux. Ces hommes et ces femmes retournaient à la terre, cherchant à renouer avec leur humanité. Ce phénomène ne fut pas que québécois, on le retrouva partout en Occident.
Refus de la modernité ou engagement à refaire le monde? Évasion devant les exigences du réel ou nouvelle manière d’habiter le monde? Peu importe. La métaphore du berger et de ses brebis se réinscrivait dans le cours de l’histoire. Elle reprenait sens, témoignant d’une critique à l’égard d’orientations majeures de la société contemporaine.
Ce contexte m’a amené à centrer mes réflexions, non pas sur Jésus le bon pasteur, mais plutôt sur la vocation de berger. Et ici, j’ai deux points. 1er point : je voulais essayer de saisir pourquoi Jésus a utilisé cette métaphore pour nous révéler sa manière d’être. 2e point : je voulais voir en quoi l’image du berger peut nous aider à orienter nos comportements lorsque nous-mêmes sommes en situation de pasteur.
Il y a plusieurs mois, j’ai vu à la télé un éleveur d’agneaux, entouré de ses bêtes qui frétillaient d’excitation à son arrivée dans le troupeau. Quand cet homme d’une trentaine d’années parlait de ses bêtes, il était beau de le voir éprouver de la fierté en s’éprouvant dépendant du souci qu’il se faisait pour elles. Il désignait chacune par son nom propre et décrivait, de manière très personnalisée, les caractéristiques et les besoins de chaque petit et petite. La qualité de cette relation homme-animal était fascinante à voir.
Et j’ai découvert encore davantage la dynamique de cette relation, lorsque j’ai cherché à comprendre les modalités du pâturage dans la montagne. À lire sur l’organisation des circuits de pâturage, on voit tout de suite que les manières de conduire les troupeaux sur les alpages sont très diverses. Ça je m’en doutais bien. Ce que j’ai vraiment appris, c’est que cette diversité s’exprime principalement dans le degré d’initiative laissé au troupeau. Cette finesse de gestion joue un rôle essentiel dans l’ambiance pastorale et le bien-être des animaux. Le bon berger est celui qui arrive à se mettre à la place de ses bêtes et à deviner ce qu’elles vont avoir envie de faire. S’il donne ce que l’on nomme le bon biais à son troupeau, le pasteur en arrive à ne presque jamais intervenir. On a alors l’impression qu’il ne fait rien d’autre que suivre ses bêtes, mais, au fond, il est extraordinairement présent.
Suite à ces quelques recherches sur ce métier de berger, ma compréhension du texte de l’évangile de ce matin s’est enrichie. Je saisis mieux ce que Jésus veut dire de lui-même lorsqu’il se présente comme le bon berger. Extrêmement attaché à ses brebis, il se met à leur place et devine ce qu’elles ont envie de faire. Il leur laisse toute l’initiative en tenant compte du biais du terrain. Quel retournement d’interprétation avec celle de mes 20 ans!
En comprenant mieux ce que Jésus cherche à nous dire sur lui-même lorsqu’il se présente à travers cette pratique pastorale, nous pouvons, me semble-t-il tirer quelques enseignements sur les comportements à développer lorsque nous sommes en situation de pasteur. C’est le second thème que je veux mentionner.
Les situations où nous nous retrouvons pasteurs sont multiples. Il y a bien sûr les parents, les éducateurs, les agents de pastorale, les travailleuses et travailleurs de la santé qui accompagnent des malades, particulièrement les malades chroniques, sans oublier ces nouvelles pratiques que sont le coaching, le counseling, le mentorat, le parrainage, le compagnonnage et j’en passe.
Comme éducateur, j’ai pris peu à peu conscience que la grande tentation qui nous guette est celle de prendre toutes sortes de voies pour amener l’autre à ma vérité. Il est si facile de manipuler, cherchant à diriger plutôt qu’à accompagner. Accompagner, c’est se joindre à quelqu’un pour aller là où il veut aller, en soutenant le sens de sa démarche. C’est croire, faire confiance à la capacité de l’autre de se construire lui-même, malgré sa petitesse et sa vulnérabilité.
La figure du bon pasteur est ici exemplaire. Même si c’est un métier qui apparaît tout simple et demandant peu de formation, il exige une extraordinaire capacité de connaissance du terrain et de sensibilité à la dynamique de l’autre. Tout comme Jésus le fait, le bon berger a le souci de laisser l’initiative à l’autre, tout en ne relâchant pas son attention. Une telle façon de faire exige beaucoup de présence à l’autre et de détachement de soi.
Voilà quelques réflexions que j’ai voulu partager avec vous à propos du bon berger et de ses brebis. Chacune, chacun d’entre nous est à la fois pasteur et brebis. Dans l’un et l’autre cas, puissions-nous être à la hauteur du modèle que nous proposent les textes d’aujourd’hui.