2e Dimanche de Pâques (A)
Mon Seigneur et mon Dieu!
27 avril 2014
Daniel Pourchot
La poignée d’hommes qui a suivi de tout près Jésus de Nazareth est dans une grande peine. Leur ami, leur compagnon est mort. Odieux silence de l’absence. La mort d’un être aimé qu’il faut accepter de ne plus revoir ici-bas, mais aussi le départ de Celui qui leur parlait de Dieu, leur montrait Dieu, leur disait Dieu dans Sa vie de tous les jours, l’ayant approché de tout près, puisqu’il était Dieu-Lui-même. Alors ? Ont-ils été trompés? À ce traduit en justice, pendu sur un bois comme le pire des malfaiteurs, faut-il rester fidèle? Par où, demain, reprendre le chemin de la vie? Ils sont là, dix, ce soir, dix ensemble pour pleurer, se souvenir, attendre ce demain qu’on appréhende…
Et voici, voici que l’incompréhensible se produit : Jésus, Lui, celui qui n’était plus, vient. Il est là. Il est PRÉSENCE. Leurs yeux n’osent pas croire. ET pourtant, contre toute logique, tout bon sens, leurs yeux voient, leurs oreilles entendent et Jésus qui vient de traverser les régions de la mort, appelle sur eux la Paix. LA PAIX SOIT AVEC VOUS! Et, en ces hommes qui avaient tout abandonné pour suivre ce Maître, la consolation et la confiance renaissent. La JOIE peut à nouveau dilater leur cœur. Aussi loin qu’ils sont allés au creux de la souffrance, voici, aussi forte et vivante, la joie qui les submerge : « Et, le voyant, Lui, le Seigneur, ils sont tout à la joie. » En Le voyant, ils ne sont plus que joie. Les paroles obscures deviennent claires. L’immense nouvelle est à dire au monde entier. COMMUNAUTÉ DE CEUX QUI ONT VU, ils peuvent ALLER et dire et redire leur simple confession de foi : « Nous avons vu le Seigneur! Nous avons vu le Seigneur! »
Mais voici qu’un n’était pas là. C’est Thomas. Et ceux qui ont vu, radieux, courent lui raconter l’incroyable événement : « Thomas, tu sais, nous avons vu le Seigneur ». Mais, Thomas, lui, n’a rien vu. Sur de simples dires, il ne peut vraiment croire chose pareille. Ce n’est tout simplement pas possible. Quoi, Jésus aurait pu, sans péril, traverser la mort. Cette annonce éblouissante de la Résurrection, cette certitude de ses amis, il ne peut la rejoindre. Ce n’est tout simplement pas possible.
Thomas, nous sommes reconnaissants au fait que tes paroles soient parvenues jusqu’à nous. Tu dis tout haut, en grande franchise et loyauté, ce que chacun de nous a, à un moment ou à un autre, pensé. Tu ne te satisfais pas d’une foi par procuration parce que les autres, ou ta famille t’ont transmis un héritage ou l’ont rejeté. Pour avancer vers demain, tu veux un SIGNE, tu veux une PREUVE, une preuve que ton esprit ne rêve pas, ne se fait pas d’illusions, ne bâtit pas son assurance sur de vaines croyances, d’aimables fantômes. Tu veux un signe que tu puisses tenir dans la mémoire, que tes mains puissent saisir, que tes yeux puissent voir. « Il peut bien, s’il est Dieu, me le prouver à moi, Thomas, et répondre à ma prière! » Et par trois fois, tu exprimes trois exigences brutales par leur réalisme : — Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous. — Si je n’enfonce pas mon doigt à la place des clous. — Si je n’enfonce pas ma main dans son côté. Si… Si… Si… je ne croirai pas.
Et là tombe le silence. Un silence de huit jours. Une histoire banale aurait sûrement exploité cet instant du récit, les réactions du groupe, les réponses de Thomas. Mais nous sommes dans une toute autre aventure : celle où un être se laisse, ou non, confronter avec un choix décisif pour son existence. Passage d’un carrefour de vie qui le conduira, soit à abandonner la marche d’amour avec le Dieu vivant, soit à la découvrir, à la pressentir, à la commencer, soit à la continuer en allant plus profond en lui-même.
Huit jours pour Thomas. Temps de Dieu et non des hommes. Mesure différente pour chacun. Huit jours d’un dimanche à un autre dimanche. Dans la même maison aux portes verrouillées, Jésus revient. Cette fois-là, Thomas est bien présent. Jésus, comme à la première visite, adresse à tous la même salutation de PAIX. Puis il se tourne vers Thomas. Ce n’est pas l’homme qui, le premier, va exiger que soit donné le signe. Jésus devance Thomas. Grande compassion divine qui connaît le cœur de l’homme avant même qu’il n’ait parlé et qui va, par avance, faire sauter les obstacles. Jésus n’est-Il pas merveilleusement soigneux de pourvoir ainsi à la foi de Thomas, et par là même à la nôtre. Oui, Jésus est merveilleusement soigneux envers Thomas : « Avance ton doigt… Regarde mes mains… Enfonce ta main dans mon côté… et, conclut Jésus, cesse d’être incrédule et devient un homme de foi. » Thomas, à l’instant, sans autre discussion, bascule en lui-même. Il laisse jaillir hors de lui ce grand cri d’adoration :
« Mon Seigneur et mon Dieu ». Du creux de ses doutes et de son silence, jaillit ce pur cri de foi que les autres disciples ne pourront dire qu’à la Pentecôte : « Mon Seigneur et mon Dieu. » C’est l’instant où tout bascule et où, par voie de conséquence, bien des réalités devront, pour Thomas, se mettre en place dans l’avenir, de façon radicalement différente. Thomas, ton grand désir a touché Dieu et il t’a répondu. Aujourd’hui, TU AS VU… Comme pour l’enfant qui balbutie à ses débuts, tu as reçu une réponse évidente qui a complètement saisi ton cœur.
Mais tu as aussi à entendre — comme nous-mêmes — Jésus qui poursuit son enseignement : « Bienheureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru. ». Thomas, sur sa visitation d’aujourd’hui, devra marcher demain et traverser d’autres carrefours de vie où d’autres choix décisifs seront à faire encore.
Et nous-mêmes, tous les Thomas d’aujourd’hui, à quelle étape de cet itinéraire nous trouvons-nous? C’est la question que je puis ou dois me poser et poser pour chacun de nous : Suis-je actuellement dans ce temps de provocation de Dieu, attendant de lui un signe, une preuve pour croire?
Suis-je dans le temps du silence, avec ce risque de m’habituer, d’année en année, à ce qu’il s’installe… définitivement?
À nous, aujourd’hui, le Seigneur veut aussi donner SA PAIX sur notre vie.
Peut-être veut-Il entendre, peut-être attend-Il notre cri : « Mon Seigneur et mon Dieu! »
À Lui, Dieu de l’impossible, tout est possible.