4e Dimanche de Pâques (A)
Le Bon Pasteur
11 mai 2014
Laurent Dupont
Au temps de Jésus, Israël gardait encore le souvenir du roi-berger, si bien illustré par David; il attendait même, depuis Ézéchiel, un Messie-Pasteur ou Berger qui, loin de « se paître lui-même », prendrait parti pour les brebis dispersées, la brebis blessée. Israël attendait donc à sa tête un pouvoir religieux et spirituel plus soucieux des personnes. Or Jésus se présente comme ce berger-là. D’ailleurs tout le Nouveau Testament présente Jésus comme la « la nouvelle Pâque », le « nouveau Moïse », la libération, le médiateur de la « nouvelle Alliance ».
D’ailleurs, sous chacune de ces images, de ces approches, une seule et même réalité centrale : l’exode, c’est-à-dire l’intervention de Dieu dans l’histoire pour « faire sortir son peuple et le mettre en marche à sa suite ». Nous sommes donc renvoyés ici à l’expérience-clé de l’exode : c’est l’itinéraire de tout un peuple qui surgit ici, c’est le cheminement de toute une nation qui est évoqué, et c’est la même expérience de fond qui est ouverte et offerte pour les disciples de Jésus. Jésus veut leur faire vivre un exode, une « sortie de soi ». L’Évangile de Jésus libère de l’inertie et de l’irresponsabilité en appelant à une mise en marche qui libère celui qui la vit. C’est ainsi qu’il appelle par son nom chacun de ses disciples : Simon, André, Matthieu et les autres. Il « les fait tous sortir » d’une existence sans horizon. Et il « marche à leur tête » comme Dieu lui-même marchait à la tête de son peuple, dans le désert d’une vie stérilisée par la Loi, les contraintes et les institutions du temps.
Enfin l’apôtre Jean, dans son Évangile, fait exprimer à Jésus la conviction qu’avec lui, ses disciples « trouveront de quoi se nourrir », de quoi nourrir leur espérance à même un pain de vie et des paroles de vie, de quoi vivre des expériences qui les grandiront et les humaniseront en vue de l’avènement d’un royaume de liberté et de fraternité.
L’exode proposé par Jésus, c’est une « sortie de soi », une mise en route vers « la vie abondante » promise et vécue intensément par Jésus lui-même.
Avec l’évangile du vrai Berger, Jésus n’apparaît pas comme un réformateur religieux qui nous ramènerait en arrière, à ce qui était déjà : au contraire, il met en marche vers ce qui n’est « pas encore ». Voilà le nouvel exode auquel le vrai Berger nous invite.
L’image du pasteur et des brebis peut évoquer en nous, dans nos plus lointains souvenirs, un monde de paix et de douceur enfantine. Nous n’avons qu’à penser à l’agneau si doux dans les bras du blondinet Jean Baptiste de nos chars allégoriques d’autrefois. Avec la parabole du vrai Berger, nous n’avons aucune peine à substituer à cet agneau si doux, l’étonnant coup d’œil du berger qui connaît une par une les brebis que le profane, le non-familier, confondra absolument : en effet, rien ne ressemble tant à une brebis qu’une autre brebis perdue dans un troupeau. Mais qui sait si le mot même de brebis ne fera pas réagir désagréablement – surtout les jeunes. En effet, qui serait flatté parmi eux d’être traité de « mouton », d’irresponsable, de suiveur bêlant ? Et dès lors, le pasteur de ces moutons n’aurait pas une bien grande force d’attraction chez eux. Il nous faut tenter de transposer dans les situations d’aujourd’hui. Nous disons, pour désigner le pasteur aujourd’hui, le « responsable », celui qui assume la responsabilité d’une communauté de personnes, en acceptant de traiter des situations personnelles dans le respect des droits de chacun, le responsable, celui ou celle à qui on reconnaît la capacité d’apprécier les situations humaines, d’en porter les soucis, tout en gardant une vision d’ensemble. C’est le chef, celui qui est à la tête. Le pasteur, ce peut être le responsable de la communauté familiale, de la communauté de travail, de la communauté chrétienne ; les pasteurs, ce sont même les responsables d’une entreprise, d’un pays. C’est à partir de nos responsabilités que nous pouvons comprendre un peu ce qu’est Jésus-Christ dans son rôle de « Responsable » de ses frères humains.
Qu’est-ce qu’être responsable aujourd’hui de quelques personnes ? d’une famille ? C’est d’abord être attentif à chacun de ceux qui nous sont confiés. Que font le père et la mère devenus responsables d’une famille ? Ils s’efforcent de connaître chacun de leurs enfants, personnellement : on le regarde vivre, on l’écoute, on le laisse s’exprimer librement, on mobilise tout ce qu’on a dans la tête et dans le cœur pour le comprendre. Cette connaissance est le fruit d’un incessant effort d’attention qu’inspire l’amour. On peut évoquer d’autres situations de responsabilité, où toujours on aperçoit l’incessant effort du responsable pour être attentif aux personnes, aux enjeux humains.
Va sans dire que cette volonté de connaître et d’aimer personnellement – cependant de n’exclure personne
– est à la source de difficultés, de souffrances, de tiraillements, d’écartèlements. C’est parce que nous vivons tous de telles situations d’écartèlement que nous ne pouvons demeurer insensibles à ce que Jésus-Christ nous dit aujourd’hui, par tout ce qu’il nous a manifesté de lui-même autrefois. Si bien que nous le croyons quand Jésus nous dit : « Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps, pour que vous vous aimiez comme je vous aime ».