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4e Dimanche du Temps Ordinaire (A)
29 janvier 2017
Des bonheurs, des joies…
Yvon D. Gélinas
Le sermon sur la montagne, le discours des béatitudes. Un texte que l’on connaît bien, trop peut-être. Un texte fondamental, fondateur cependant. Et l’on dirait que chaque fois qu’on le reprend, surtout qu’on le proclame dans l’assemblée chrétienne, quelque chose de neuf, de différent, de bouleversant est introduit dans notre monde. C’est qu’alors on répète la parole de Jésus, la sagesse de Jésus, qui va à l’encontre de toutes les sagesses populaires, de toutes les perspectives et visions spontanées, irréfléchies souvent, qui nous viennent à l’esprit. Heureux, joyeux les cœurs de pauvres, heureux, joyeux ceux et celles qui pleurent, qui sont à bout de souffle, qui ont faim et soif avant tout de justice et de paix. Tout cela est tellement différent des désirs de force et de possession – sinon de domination —, des désirs de vie faciles, agréables toujours, qui font justement la sagesse populaire, irréfléchie qui est souvent aussi la nôtre. Et pourtant, ce discours ne prône pas l’indifférence à la réalité de notre monde. Il n’invite pas à se replier égoïstement sur soi, sur ses petits bonheurs, ce qui serait le lot des trop doux, des pusillanimes. Qu’en est-il vraiment ?
C’est un programme qu’un jour, aux débuts de son ministère, de sa mission, Jésus a proclamé. Du haut d’une montagne comme pour être entendu à tous les horizons, pour que sa parole soit portée à tous par tous les vents. Le programme proposé à ceux et celles qui veulent entendre et recevoir la Parole de l’Envoyé de Dieu, de Dieu lui-même, qui veulent vivre, modeler leurs existences sur cette parole. Non pas tant une attitude morale qu’un mode d’être et de vivre qui soit la marque de ceux et celles qui veulent marcher à la suite du Christ, qui veulent mettre leurs pas dans les siens.
C’est un programme et un pari qu’un jour Jésus a lancé du haut de la montagne. Le pari de vivre selon une parole nouvelle, qui va plus loin que tout ce qui a déjà été entendu. On le saisit bien dans la succession des lectures de ce matin. Le prophète Sophonie appelle lui aussi à un monde de justice, de partage, de paix qui serait la marque d’un peuple de choisis et d’élus. Mais une manière de vivre qui échapperait au jugement – à la colère – d’un Dieu qui surveille et punit. Avec Jésus, rien de cette menace de jugement. Plutôt un choix qui fait entrer dans le bonheur et la joie de Dieu, parce que ce choix c’est au fond celui d’être vraiment à l’image et ressemblance d’un Dieu créateur. Une image et ressemblance qu’a incarnée et vécue dans la chair de notre humanité, son Envoyé, son Fils image parfaite et modèle et guide pour toute personne qui accepte son message et sa vie sur notre terre.
Il y a, comme chez les anciens prophètes, une récompense attachée à cette acceptation. Mais comme on est loin d’un prix accordé aux mérites. C’est bien plus un état de bonheur et de joie qui n’est pas uniquement pour plus tard, dans un vague au-delà. C’est maintenant qu’est le début du bonheur et de la joie. Il est plus heureux, il y a plus de joie à être dès maintenant un cœur pur, transparent, ouvert aux grandeurs et aux beautés de la vie qu’un cœur tortueux et profiteur et égoïste. C’est encore une fois le contre-pied des sagesses populaires.
Ce discours des béatitudes, des joies n’est pas qu’une promesse, un idéal qu’on s’efforcerait de réaliser à l’échelle personnelle. Jésus, en prononçant cet appel et ce programme a inauguré un monde nouveau. Un monde qui peut et doit lever, sans cesse être repris. Un monde qui va du plus personnel au communautaire et à l’universel. Ainsi quand on dit heureux ceux qui sont éplorés et qui pleurent, on est rejoint en nos peines et douleurs et deuils personnels et l’on s’élève à pleurer pour la douleur des autres, pour la peine du monde. Et plus encore. On ne se contente pas d’être rejoint en soi et pour soi, comme lorsque s’éveille en notre cœur une faim de paix, une révolte pour la justice, non. On s’éveille et on commence à être des artisans, des faiseurs de paix, de compassion, de miséricorde et de justice dans son entourage et dans des engagements pour le bonheur du monde.
Le discours des béatitudes est une semence jetée dans le monde, Une semence qui germe et s’élève dans les cœurs qui ont été attentifs à la parole du Seigneur, qui germe et grandit dans les communautés de croyants et croyantes, qui devient comme une inspiration et un appel pour tous ceux et celles qui, même en dehors du monde de l’Évangile, en perçoivent cependant la lumière, ne serait-ce qu’une lueur.
Sommes-nous dans la joie ? demandait-on au début de cette célébration. On peut répondre oui, si nous entrons dans cette mouvance des béatitudes. Une joie lucide qui voit les peines et les difficultés, qui n’est pas une évasion futile. Nous ne sommes pas, pas encore, tout de joie mais nous sommes dans la joie de mettre nos pas dans ceux du Christ, de marcher à sa suite de le laisser marcher avec nous dans la construction du Royaume où les faims de justice et de paix seront à jamais rassasiées, où ceux qui pleurent verront à jamais leurs yeux essuyés.