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5e Dimanche du Temps Ordinaire (A)
5 février 2017
Le sel de la terre et la lumière du monde
Hubert Doucet
L'évangile que nous venons d'écouter invite à l'engagement, à la responsabilité. Être sel de la terre et lumière du monde, dans le contexte de ces années-ci, exige une attitude résiliente parce que tout est toujours à refaire.
Ce thème de la résilience m'est venu à l'esprit en lisant le texte de la première lecture, celle du prophète Isaïe qui nous annonce que le monde de la fraternité est possible, même après les pires échecs. Au moment où ce texte est composé, les Juifs rentrent d'un long exil. Ils découvrent que tout a été démoli. Malgré les efforts acharnés que les déportés déploient pour reconstruire un semblant de vie normale, rien n'y fait. Ils ont beau multiplier les liturgies et les sacrifices, Dieu reste sourd à leurs appels. C'est là que le prophète intervient en affirmant que la fraternité constitue la seule façon de rétablir la vie bonne : « Partage ton pain avec celui qui a faim, accueille chez toi les pauvres sans abri, ne te dérobe pas à ton semblable » (Is 58,7).
La fraternité est la beauté du monde, la bonne saveur de la vie. Sans elle, que sommes-nous? André Malraux, ce grand penseur du 20e siècle, soutenait que le Mal Absolu dans le monde, c'est précisément l'Ennemi de la fraternité. Ces jours-ci, sous différentes formes, j'ai le sentiment que le mal absolu s'impose.
C'est dans ce contexte que je comprends les images du sel et de la lumière dont parle Jésus. Nos échanges en équipe de préparation de la célébration et les réflexions subséquentes m'ont ouvert des pistes insoupçonnées sur l'image du sel. Le sel nous renvoie d'abord au quotidien où ce précieux condiment donne du goût à l'alimentation du jour et nous assure de la nourriture pour demain en la conservant. J'ai aussi appris que dans le monde ancien, le sel est encore plus riche de sens, il est le geste de l'amitié. L'expression « Manger du sel avec quelqu'un » signifie faire un pacte d'amitié indissoluble avec cette personne. Même Dieu ne peut le défaire. Si le sel caractérise une alliance inviolable et sacrée, peut-être est-ce dû au fait que le sel empêche la corruption des aliments?
Le sel a-t-il toujours ce rôle positif, comme semble l'affirmer le pacte du sel? Il ne semble pas car, dans certains contextes, le sel va s'éventer et entraîner l'affadissement de la nourriture. Même si la composition du sel est, en soi très stable, la salinité peut se perdre. En Palestine, cette salinité se perdait, le sel de la Mer Morte contenant beaucoup d'impuretés. Le sel ne jouait plus son rôle : dénaturé, on n'avait qu'à le piétiner.
L'image de la lumière nous est plus familière. C'est un symbole fort de la tradition chrétienne. Je ne veux pas m'y attarder davantage, sauf pour rappeler que, pour l'évangile d'aujourd'hui, la lumière est ce que nous faisons de bien, c'est-à-dire notre engagement, notre responsabilité.
Comment aujourd'hui être sel de la terre et lumière du monde? En développant la fraternité. Toutes sortes de situations et d'événements témoignent d'une incapacité de fraternité : des enfants, des femmes et des hommes sont rejetés, bafoués et exclus. Pourquoi? Parce que leur situation de vie, leur nationalité, leur origine ou leur orientation sexuelle ne correspond pas au modèle unique que nous considérons nécessaire et dans lequel nous voulons enfermer l'humanité. L'incapacité de la fraternité, c'est affadir la vie. Être sel de la terre et lumière du monde, c'est témoigner dans notre quotidien, privé et public, que la fraternité a bien meilleur goût que le refus de l'altérité de l'autre.