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2e Dimanche du Carême (A)
12 mars 2017
Luc Chartrand
Une autre vie s'annonce
La semaine dernière, « Jésus fut conduit au désert par l’Esprit ». Cette semaine, c’est lui qui amène Pierre, Jacques et Jean son frère, « à l’écart, sur une autre montagne ». Jésus retranche trois personnes du groupe des Douze pour leur permettre une distance avec leur vie de tous les jours. À la fin de cette expérience avec Jésus, ils seront invités à redescendre. De notre côté, nous qui nous sommes déplacés ce matin, nous serons aussi conduits à retourner à notre vie de tous les jours.
La première mise à l’écart est suivie d’une seconde. Cette fois les trois disciples sont tenus à distance de Jésus. Ce dernier est maintenant en face d’eux dans un autre temps et un autre espace. De plus, ses interlocuteurs sont nouveaux. Dans ce nouveau contexte, les disciples deviennent des spectateurs-témoins d’une scène dont ils ne font pas partie. D’ailleurs, les personnages appartiennent à une autre époque. Pierre, Jacques et Jean sont confrontés à une vision troublante, « son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière ». Ici, contrairement à ce qui se produit sur une scène de spectacle où les acteurs sont éclairés, le corps de Jésus devient lumineux. La tentation qui nous guette est de croire que c’est la condition divine de Jésus qui se manifeste. Or, ici, il n’y a pas seulement Jésus qui est en cause. Son corps lumineux fait jaillir de l’ombre deux grandes figures de l’Ancien Testament : Moïse, qui nous rappelle la Loi, et Élie, symbolisant les prophètes, dont le départ sans avoir connu la mort permet d’espérer le retour. La réunion de ces trois personnages laisse entendre que la vision récapitule toute l’Écriture, qu’elle la condense en une synthèse lumineuse.
On comprend alors la réaction de Pierre qui témoigne de la satisfaction de tous, au point de se faire leur porte-parole. Il cherche à poursuivre ce qui s’est mis en marche sous ses yeux en voulant y demeurer.
L’Évangile ne s’arrête pas là. Il s’agit simplement du premier volet.
Voilà qu’une nuée, bien que lumineuse, les plonge dans l’ombre. Aveuglés par l’intensité de la lumière, les trois disciples sont alors privés de la vision. Le souhait de Pierre de demeurer dans la contemplation semble alors compromis. La nuée, les privant de voir, leur ouvre un nouveau chemin : d'une scène vue, il passe à un autre sens, l’« entendre ». La nuée est porteuse d’une voix : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie: écoutez-le! » L’état de réjouissance de la vision cède la place à celui d’une mission. D’ailleurs, Pierre, Jacques et Jean sont maintenant appelés disciples. La voix entendue les projette vers un avenir différent de ce qu’ils ont perçu de Jésus. Avec Jésus, ils sont maintenant les interlocuteurs directs. Le destin de Jésus est maintenant associé au leur. Le temps de la souffrance, de la Passion et de la mort annoncé précédemment les concerne intimement. Avec Jésus, les disciples deviennent les membres d’un corps nouveau.
Jésus relève les disciples, qui étaient tombés face contre terre. Alors que tout semblait s’arrêter à la suite du passage d’un état bienheureux dans la contemplation à celui de la crainte, Jésus « s’approche et les touche », pour les relever, les rassurer et leur parler.
Une fois le récit entendu, nous sommes en droit de nous demander quel est donc l’événement auquel Jésus les a conviés. Il s’agit de deux moments. Un premier sur lequel nous nous attardons trop longuement au détriment du deuxième. Comme la vision captive Pierre, Jacques et Jean, nous construisons nos tentes pour y demeurer. La suite des versets de ce récit nous invite pourtant à sortir d’une perspective de spectateur passif. Matthieu nous fait entrer dans la dynamique de l’écoute où l’entendre est requis.
Jésus, en demandant à Pierre, Jacques et Jean de l’accompagner, les convie à l’événement de leur transformation. Plus encore, confirmés dans leur vocation de disciples, Jésus les instaure dans le corps glorieux. La Voix, le Fils et eux forment maintenant une trilogie. Les trois disciples deviennent les dépositaires d’un secret.
Alors que Pierre semble voir son désir de construire trois tentes refusé, l’association de Jésus comme tête et des disciples comme membres du corps glorieux nous entraîne vers un avenir inconnu pour y demeurer comme bien établis dans l’espérance et la confiance. Le travail d’interprétation des Écritures sera au service de ce désir en éveil. La soif de nous établir dans le mystère passe par l’écoute du Fils bien-aimé à travers les événements et les rencontres de nos vies. Nous sommes invités à refuser toute appropriation d’un sens qui s’imposerait à nous comme un « prêt-à-porter ». Au contraire, il s’agit d’adopter la position « face contre terre » pour nous laisser travailler par la Parole à écouter, puis à entendre.