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26e dimanche du Temps de l'Église (A)
1er octobre 2017
Luc Chartrand
Passer des mots aux actes
La sentence est provocatrice! « Les publicains et les prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu » (Mt 21,31). Pourtant, l’Évangile nous a habitués à la présence de nombreux païens et pécheurs qui sont symbolisés en ce premier fils. Des êtres qui par leur choix dans la vie sont associés au « non », mais que nous retrouvons sur le chemin de Jésus. D’ailleurs, l’un ou l’autre accepte de le suivre. Tout les disposait à demeurer éloignés de la découverte de l’amour de Dieu, puisqu’ils étaient des « hors-la-loi ». Publicains et prostituées sont à l’opposé des « grands des prêtres et des anciens », qui sont des « oui » devant la Loi, expression unique de la volonté de Dieu, selon leur conviction.
Pour Matthieu, ce qui distingue les premiers des seconds, c’est le repentir. Une sorte de « boîte noire » qui contient des informations sur le changement qui s’opère en eux. Pour nous, il est impossible d’y avoir accès. Comme dans un accident d’avion, il y a un moment où elle est découverte, trouvée, pour être analysée. Il ne nous revient pas de le faire. Pour l’instant, nous sommes appelés à nous contenter de savoir l’existence d’une énigme. Il s’agit d’un « temps » de repentir. Le premier fils, après avoir dit « non », a connu ce temps. Le second fils, à la réponse positive, ne connait pas ce moment. Il n’ira pas à la vigne, malgré son affirmation qui le laissait bien entendre. Le premier ne voulait pas mettre entre parenthèses sa volonté pour réaliser celle de son père. Le second, après l’empressement du premier moment, préfère reprendre sa liberté. La différence n'est pas de l'ordre du « dire », mais bien de celui de l’« agir », du « faire ». Là où la réponse s’oppose à la volonté du père, l’acte s’y accorde, après le repentir. Là où les mots coïncident avec la volonté du père, l’acte ne la réalise pas. Par le « repentir », le premier fils renonce à sa volonté pour obéir à celle de son père. L’acte manifeste le changement. Le fils incarne la parole du père. La demande du père s’accomplit dans l’acte du fils. Entre la demande et la réalisation, il y a le consentement. Non pas une obéissance servile, mais une transformation intérieure qui fait de l’appel du père un chemin où l’abdication de la volonté pour celle d’un autre devient comme allant de soi. Il n’y a pas renoncement de sa propre identité, mais la réalisation de soi par l’invitation d’un autre, ici, certainement, du Tout Autre. La raison profonde de ce changement relève du secret, de la boîte noire qui sera découverte un jour dans un autre monde. Inutile donc de se perdre en différentes hypothèses.
À la question, « lequel des deux a fait la volonté du père? », la réponse est cinglante, disions-nous. La venue de Jean-Baptiste a fait en sorte que les « hors-la-loi », les pécheurs ont cru à sa proposition d’« un chemin de justice ». Du « non » dont témoigne leur vie, ils passent à un agir, celui de croire. Pour leur part, les « grands prêtres et les anciens » n’emboîtent pas le pas. Ils demeurent cantonnés dans une parole stérile et figée, celle de l’absolu de la Loi. De leur « oui » de toujours, il n’y a pas maintenant une action conforme à leur réponse, sinon celle de la répétition de la Loi.
La venue de Jean-Baptiste a introduit un monde nouveau, celui de l’annonce de la venue du Règne. Rien ne peut plus être comme avant. Les paroles d’hier acquièrent un nouveau sens, qui se vérifie dans l’action. Au moment où Jésus introduit cette parabole, il vient d’entrer à Jérusalem, de chasser les vendeurs du Temple, de se pencher sur le figuier sans fruit. Les actes et les paroles remettent en cause l’Écriture transmise jusqu’à aujourd’hui. Nous entrons dans le temps de la reconnaissance. Un temps qui se poursuit jusqu’à nous et qui est bien différent d’un regard introspectif à savoir si nous avons répondu « oui », sans pour autant avoir une action conforme à notre réponse. Pire encore, nous interroger sur nos actions, ou celle des autres, qui témoignent d’un réel souci d’un monde meilleur, mais qui semble avoir été précédé d’un « non » au monde de la foi, à travailler à la vigne.
Il ne s’agit pas de nous interroger sans fin, mais d’emboîter le pas pour travailler à la vigne avec tous ceux et celles qui y œuvrent. La boîte noire, qui sera un jour descellé, permettra de découvrir les raisons, les réponses qui y sont enfouies… Elle sera en quelque sorte le moment de vérité dont les critères exposés par le prophète Ézéchiel ont de quoi nous faire trembler. Une peur qui se dissipe, lorsque nous rappelons la lettre aux Philippiens, puisqu’une joie parfaite est possible si « dans le Christ, on se réconforte les uns les autres, si l’on s’encourage avec amour, si on est en communion avec l’Esprit » (Ph 2, 1). Un témoignage de Paul qui se poursuit ainsi dans son hymne : « ayant la condition de Dieu, il ne retint pas le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur » (Ph 2, 6-7).