Voir le déroulement de ce dimanche
29e Dimanche du Temps Ordinaire (A)
22 octobre 2017
Rendre à César et à Dieu
Ils s’approchent de Jésus et le saluent avec toutes les marques convenues de respect dues à un maître de sagesse. Jésus voit au-delà de ces apparences. C’est un piège que les pharisiens et les hérodiens veulent lui tendre. Un piège si bien ficelé que Jésus ne pourra s’en déprendre. Est-il permis de payer l’impôt à César l’empereur ? Un bref regard sur la situation géopolitique de la Judée en ce temps nous aide à comprendre l’habileté et la malignité de cette question.
Ce territoire, et donc Jérusalem, est occupé par le pouvoir romain. C’est un pouvoir étranger que le peuple juif depuis longtemps et souvent habitué à la sujétion supporte tant bien que mal. On peut rêver d’un retour à l’autonomie du peuple élu, mais, pour l’instant, on peut s’arranger, s’accommoder même d’une situation non souhaitée. Les partisans d’Hérode trouvent même qu’ainsi l’ordre public est assuré. Les pharisiens eux considèrent que tout pouvoir vient de Dieu, que le pouvoir romain qui est païen est comme une insulte lancée à la majesté de Dieu. On doit garder au cœur le désir de voir le peuple élu retrouver sa liberté, de n’être soumis qu'au seul vrai Dieu. Le piège tendu est tout à fait à point. Si Jésus répond qu’il faut payer l’impôt, les pharisiens pourront le dénoncer comme idolâtre, surtout, comme faux Messie : il ne place pas Dieu au-dessus de tout. Par contre, s’il répond non, les hérodiens verront en lui un révolté contre Rome, un agitateur public. Alors son messianisme sera réduit aux yeux du peuple à un messianisme terrestre et politique.
Comme chaque fois qu’il est mis en présence des ruses humaines, Jésus ne répond pas; il renvoie à plus haut, à plus large, à plus essentiel : Rendez à César... Comme s’il disait : dans vos affaires terrestres, vous savez comment vous en tirer, vous savez gérer et manœuvrer. La preuve? Vous dites ne pas savoir s’il faut ou non payer l’impôt avec cette pièce de monnaie qui porte l’effigie de l’empereur représenté comme un dieu, mais cette pièce de monnaie vous la gardez bien en poche, prêts à la tirer de là quand nécessaire. « Rendez à César », mais aussi : « Rendez à Dieu ». Et là c’est rappeler que tout ne se réduit pas qu’à des affaires humaines — au sens le plus étroit de l’expression —; qu’il ne faut pas mettre l’absolu là où il n’est pas; qu’il y a aussi la reconnaissance de Dieu dont nous portons en nous l’effigie comme la pièce de monnaie porte l’effigie de César. Et c’est rappeler encore qu’il ne faut pas tout mêler et tout confondre, mettre Dieu et le service de Dieu en n’importe quoi, mais ne pas oublier qu’il est toujours présent ce Dieu, que son service se traduit en nos gestes quotidiens, qu’il est présent comme l’horizon de toute vie, comme une réalité qui englobe et enveloppe toute la réalité sans pourtant se confondre avec elle. Les deux ordres, le matériel, le quotidien et le religieux, le spirituel ne sont pas de même niveau.
Et nous voici avec nos tentations de trop mêler le sacré et le profane, l’humain et le divin, le relatif et l’absolu, ou de les séparer, de les compartimenter, comme si nous rendions à César au temps de nos actions et entreprises humaines, et à Dieu au temps de la prière et de la célébration, sans qu’il y ait liens, continuités de l’un à l’autre temps. Un penchant parfois à tout sacraliser, à couvrir, jusqu’à l’abus, la moindre de nos actions du nom de Dieu. L’attitude qui revient à mettre Dieu à notre service. Et parfois l’autre penchant : la nette séparation du profane et du religieux, comme s’il n’y avait pas de place pour des valeurs spirituelles en notre monde, comme si nous existions et agissions sans que jamais la foi, dont pourtant nous nous réclamons, n’ait à intervenir. Tout considérer comme venant de Dieu et allant à lui — les peines, les détresses, les malheurs, interprétés comme action de Dieu, comme châtiments de Dieu souvent — et ne jamais admettre en tout cela ce qui relève de notre liberté. Mener et gérer nos affaires humaines selon les seules lois et consignes du monde, faisant appel — ce qui est juste — à notre sagesse, à notre intelligence, à notre responsabilité, mais sans aucune référence à l’idéal de partage, de service, de l’amour les uns des autres, à tout ce que nous enseigne l’Évangile.
Ce qui retient encore notre regard en ce texte d’Évangile c’est la très grande liberté de Jésus. Ce que, ironiquement, mentionnent pharisiens et hérodiens dans une intention de flatterie « Tu enseignes le chemin de Dieu en vérité; tu ne te laisses influencer par personne, tu ne considères pas les personnes selon l’apparence. Jésus ne se laisse pas enfermé dans les conflits politiques et sociaux de son temps »: son attention est aux personnes et aux cœurs de ces personnes, et c’est la justice et le bonheur qu’il veut pour tous et pour toutes les situations et attitudes humaines. Sa liberté lui fait placer sa foi au-dessus de ses intérêts immédiats. Il est prêt à en assumer les conséquences — abus et persécutions — pour que cette foi et son espérance soient préservées en toute liberté de conscience et de cœur.
Ce texte évangélique illustre bien et l’image que nous avons de Dieu, et l’exemple de liberté que Jésus nous propose. Nous avançons, comme Jésus et à sa suite, en un cheminement d’ombres et de lumières. Nous portons et voulons porter l’image de Dieu en nous et dans notre action dans un monde que nous aimons, respectons et voulons servir. Nous vivons et avançons comme Paul le disait aux Thessaloniciens avec une foi active, une charité qui se donne de la peine, une espérance qui tient bon.