IL EST VRAI que la richesse comporte des risques. Le risque le plus évident
est d’être insensible aux autres, jusqu’à les oublier.
Pourtant les riches ont besoin des autres pour devenir riches. En plus de
créer parfois des sécurités illusoires, l’argent
a le don de détruire des amitiés. Ne parlons surtout pas de
toutes ces guerres meurtrières que nous connaissons trop bien. Faudrait-il,
en plus, reprocher à Dieu, et au Christ, d’être sévère
pour les mieux nantis? Quelqu’un s’est même demandé si
Jésus, petit fils de charpentier, condamnait les riches. Passons!
De toute manière si j’accuse le Christ, j’accuse Dieu… C’est
Dieu pourtant qui a fait certaines personnes plus talentueuses, plus
aptes à s’enrichir. Le Christ en personne n’a-t-il pas
fait éloge de celui qui avait dix talents?
Pour comprendre le sens de cet évangile anti-capitaliste, il convient
peut-être d’élargir nos perspectives et de regarder plus
haut, plus haut en horizontal comme en vertical. Bref, un regard plus universaliste
ne serait pas de trop.
L’univers n’appartient ni aux riches, ni aux pauvres. Qui a
inventé l’univers? Nous ne possédons pas non plus
le temps. Qui a inventé le temps? Nous ne possédons pas la
vie non plus. Non, Dieu ne peut pas en vouloir à son œuvre,
ni à la terre qu’il a façonnée, ni à toutes
ses richesses, ni au temps, ni à la vie. Un merveilleux psaume, le
psaume 94, me revient à l’esprit. Ces versets, nous les chantons à chaque
grande liturgie, chaque dimanche cela va sans dire : « Venez,
crions de joie… Le grand Dieu, c’est lui le Seigneur. Il tient
dans sa main les profondeurs de la terre et les sommets des montagnes sont à lui; à lui
la mer, c’est lui qui l’a faite, et les continents que ses mains
ont pétris… » En ce sens, Dieu est riche, il est
même multimilliardaire.
Ce n’est pas tellement la richesse qui est en cause, ni le fait que
l’on puisse se valoriser selon ses habilités et ses talents.
Jésus vise avant tout la manière d’être riche.
Si le riche de cet évangile avait mieux valoriser ses biens, il aurait
pu davantage aider, aimer, partager. Il est vrai, par exemple, que le fossé entre
les pays riches et les pays pauvres est terrible à penser en soi.
Mais en même temps se développent des organismes d’entraide.
Ici même cette communauté chrétienne St-Albert-le-Grand
s’efforce dans la mesure de ses moyens, de créer des services
de soutien à différents niveaux sociaux, son souci d’identité ne
lui enlève pas le souci d’altérité.
Non il ne s’agit pas d’être meilleur que les autres, ou
même d’être pauvre pour être meilleur chrétien
ni d’être riche pour être bon. L’évangile
qui raconte l’évènement Jésus n’est pas
un manuel de morale sociale. Comme dirait Jésus, ce n’est pas
la loi qui sauve : « S’ils n’écoutent
pas Moïse ni les prophètes, quelqu’un pourrait ressusciter
des morts, ils n’en seront pas plus convaincus ».
Dieu souhaite plutôt un changement d’attitude. Sa création
est diversifiée. Des multitudes d’êtres existent, petits,
grands. De même des pauvres, des riches. Dieu respecte à ce
point la liberté qu’il a rendue possible, Il permet que l’homme
ait le pouvoir de choisir d’être riche, tout comme il lui
donne en même temps le pouvoir d’aimer, de ne pas aimer :
il se jugera lui-même, quitte à se perdre au séjour des
morts.
Nous pouvons dans la charité changer l’argent en amour, comme
fit le Christ pour l’eau changée en vin. Le don de soi peut
devenir le signe sinon l’occasion de la vraie richesse.
Il convient de ne pas oublier qu’il existe un certain pharisaïsme
des pauvres. Dénoncer est plus facile qu’annoncer. Il est plus
facile de dénoncer la pauvreté que d’annoncer le TOUT À TOUS.
Il est cependant un fait beau à vivre. Ici comme ailleurs, en même
temps qu’à Hochelaga-Maisonneuve, la table eucharistique est
mise. Tous et toutes sont invités. Riches et pauvres. Sans jalousie
ni exhibitionnisme nous communions au même Seigneur des Seigneurs (cf.
1 Tm 1, 15-16). Nous désirons en un sens avec et par le Christ ce
midi partager la richesse de Celui qui s’appelle à la fois Créateur
tout-puissant Miséricorde et Amour.
Confions à la riche musique de Boech, (1733) d’opérer
la transition entre liturgie de la Parole et liturgie eucharistique.