C’est toujours la fin d’un monde
Des lectures pour le moins inquiétantes et sombres pour un dimanche
ensoleillé… Un brin d’humour. Il faut personnellement
que j’aie une rude confiance pour entendre ce midi cette phrase : « Mais
pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. » Je cherche
toujours... Mais où sont-ils donc? Mais, plus sérieusement,
quand je vois des personnes qui vivent un traitement de chimiothérapie
et qui perdent leurs cheveux, parce qu’elles ont confiance que la vie,
pour elles, est encore plus forte que la mort, là je commence à comprendre
un peu mieux le sens de cette image que Jésus utilise. Je commence à saisir
que oui, dans toute cette description que Luc fait de la fin d’un monde,
il parle surtout de retrouver la confiance dans les pires moments de la vie,
confiance en soi, confiance dans les autres, confiance dans la vie, confiance
en Dieu.
Pour les disciples, de braves juifs, s’entendre dire par Jésus
que le Temple serait détruit, c’était impensable. Imaginez,
ce Temple, lieu de la présence de Dieu qui disparaîtrait. C’était
toute une image de Dieu et de la vie qui s’effondrait. On aurait envie
de reprendre la question du notre petit catéchisme d’autrefois : « Où est
Dieu », on y répondait rapidement pour nous : « Dieu
est partout ». Mais à la réflexion, on pourrait
apporter une nuance. Oui, Dieu est partout, là où des femmes
et des hommes travaillent à construire la vie, même dans les
situations les plus désespérantes. Jésus savait qu’on
ne renferme pas Dieu, qu’il n’habite pas dans des édifices.
Pour eux, c’était la fin du monde et Jésus en rajoute.
Mais s’agit-il bien de la fin du monde? Dans les faits, c’est
toujours la fin du monde… À des années-lumière,
avec ces images de terreur et de confiance en la vie, ce passage de Luc parle
de nous : « Vous entendrez parler de guerres et de soulèvements ».
Cela ne nous est-il pas familier? « Il y aura des tremblements
de terre, des épidémies et des famines ». La planète
se meurt, entendons-nous, mais il y a des femmes et des hommes qui cherchent
et engagent leur vie et nous indiquent des pistes pour la sauver. À la
fois, cela fait peur et donne confiance « On portera la main sur
vous… à cause de mon Nom. » À certains endroits
de la planète, il y a aussi des persécutions des religions
entre elles. Combien de personnes et de groupes dans le monde, dans notre
monde, ne souffrent-ils pas de ces massacres, de ces incompréhensions?
Et même plus près de nous, des divisions familiales, des rejets éprouvants,
et souvent, bien de l’indifférence. On sent parfois qu’on
a le souffle court, que l’espérance est confrontée; on
sent notre résistance mince comme un cheveu. « Pas
un cheveu de votre tête ne sera perdu… »
Si les images sont frappantes, ce n’est pas d’abord le calendrier
de fin du monde qui devrait retenir son attention, mais la condition humaine,
risquée, souvent tragique qu’est la nôtre. Mais en même
temps, il importe de prendre conscience que c’est aussi là que
se trouve la vie. Ce passage de l’Évangile selon Luc ne nous
parle t-il pas surtout d’espérance, de persévérance.
Il nous parle de la vie au milieu de tous ces avatars qui font aussi partie
de la vie et qui nous en disent la fragilité. La nécessité de
nous tenir, de rester debout envers et contre tout. Ce sera toujours la fin
d’un monde… De génération en génération,
on a l’impression que tout est à réinventer. Parlez-en à vos
adolescents…
On a tous une expérience d’un moment de vie où l’on
s’était bien préparé à affronter une situation
difficile, mais la situation s’est présentée tout autrement
qu’on ne l’avait prévue. On aura toujours à faire
face à ce qui se présente, à être fidèle à l’événement.
Les disciples semblent vouloir tout prévoir, même les turbulences
de l’avenir. Quand donc cela aura-t-il lieu? Rester libre dans tout
cela, croire à la vie, à l’amour malgré tout.
C’est ce que fit Jésus, c’est un appel à nous aujourd’hui
en ces derniers dimanches? Un appel à tenir ferme au beau milieu d’une
situation qui se présente à nous. Nous tenir à notre
juste place devant Dieu et devant les autres. Ne pas nous laisser emporter
et céder aux peurs, de se projeter dans un monde idéal. Consentir
au risque de la fragilité. Car il y a toujours des femmes et des hommes — et
j’ose croire que nous en sommes — qui ne perdent pas une once
de leur personnalité en se tenant debout. N’est-ce pas là une
expression de notre résurrection, d’un avenir du monde?
Dieu se donne à entendre à ceux et celles qui acceptent à ne
pas tout maîtriser mais bien plutôt à ouvrir l’avenir
(« se souvenir du futur »). Aujourd’hui, dans
tout ce brouhaha de la vie, nous nous laissons parler de persévérance
et d’amour. Nous ne savons ni où ni comment, mais nous entendons
la voix du Christ, la voix de l’Évangile. « C’est
par votre persévérance que vous obtiendrez la vie ».
Oui, les vrais « vivants » seront celles et ceux qui
travailleront, qui traverseront la vie malgré tout. Celles et ceux
qui ont une inébranlable espérance. L’image du temple
aujourd’hui est celle que nous projetons nous-mêmes, un temple
fragile fait de pierres vivantes. C’est eux, c’est nous.
Nous vivons toujours des temps apocalyptiques, au sens où ces temps,
même avec des peurs souvent légitimes, sont aussi des moments
de révélation, de surgissement Ce sont des petits gestes de
vie qui construisent et reconstruisent le monde. Il y en a dans nos milieux
comme ailleurs dans le monde. J’imagine les gestes de vie que certaines
personnes ou groupes doivent poser au Darfour, en Irak, ou ailleurs dans
le monde. J’entendais l’autre jour le responsable du Club des
petits déjeuners… Cet homme a traversé des zones de
grande turbulence dans sa vie. Mais aujourd’hui, il parle dans des
gestes d’espoir, des gestes de confiance en la vie.
Enfin, pensons aussi au sens que nous donnons au geste de prendre un peu
de pain et un peu de vin et en mémoire de Lui, en mémoire de
nous de se les partager avec les membres de l’assemblée et avec
les absents aussi. Geste de confiance, s’il en est un : « Prenez
et partagez entre vous, c’est mon Corps » Oui, acharnons-nous à ne
jamais laisser mourir la vie! « C’est par votre persévérance
que vous obtiendrez la vie », Et surtout n’oublions pas
que « pas un cheveu de votre tête ne sera perdu… » Une
belle image de confiance!