Dans l’attente du Fils de l’Homme
Pour nous parler de l’avènement du Fils de l’homme, Jésus
remonte au déluge, comme on dit, il remonte à l’époque
de Noé. « L’avènement du Fils de l’homme
ressemblera à ce qui s’est passé à l’époque
de Noé. » Va-t-il nous annoncer un cataclysme, un nouveau
déluge, une catastrophe ? Nous pourrions interpréter ses
paroles de façon « apocalyptique », dans le
sens désastreux du terme. Alors est-ce là un texte bien approprié pour
introduire l’Avent, l’Avent-Noël, cette période de
préparation et d’anticipation de la joyeuse fête de Noël ?
Le ton de ce texte ne nous paraît-il pas trop menaçant et terrifiant,
quand il nous parle aussi d’un voleur qui va venir la nuit ?
Et
pourtant, ce qu’il nous dit me paraît plus encourageant et
plus prometteur. Si l’on devait retenir un mot qui donne le sens et
la portée réelle de ces paroles de Jésus, ce serait
celui de vigilance, vigilance dans l’attente du Fils de l’homme.
Vigilance, cela veut dire rester éveillé ou veiller. Pourquoi
veiller ? « Veillez donc, dit Jésus, car vous ne connaissez
pas le jour où votre Seigneur viendra. » Nous ne connaissons
pas l’avenir, malgré tous nos gourous et prophètes modernes,
qui nous promettent merveilles technologiques ou nous annoncent catastrophes économiques
ou écologiques, nous ne savons pas ce qui nous attend, et cette ignorance
fait partie de notre condition humaine : notre vie nous échappe
en grande partie.
Mais alors, faudrait-il s’attendre au pire ? Il me semble que
les paroles de Jésus ne vont pas dans ce sens négatif. Nous
avons entouré ce mot d’attente d’un lourd bagage de pessimisme.
On pense bien sûr aux interminables heures d’attente dans les
urgences d’hôpitaux et dans nos bureaucraties omniprésentes.
J’ai en mémoire, et ceux de mon âge s’en souviendront
sans doute aussi, cette phrase de nos mères, exaspérées
par nos mauvais coups d’enfants et qui nous lançaient, d’un
doigt menaçant : « Attends que ton père
arrive ! » Nous ne savions pas trop alors à quoi nous
attendre !
Non, je ne crois pas que « veiller » signifie
se barricader, accumuler les sécurités, les polices d’assurances. « Veiller » signifie être
là, faire face aux événements, événements
qui sont toujours plus ou moins imprévisibles, en prenant ses responsabilités.
Il s’agit d’habiter sa vie, dans l’attention aux autres.
Etre attentitf, le mot même nous mène vers l’attente,
l’attente que nous vivons, dans laquelle nous sommes de la venue du
Seigneur. N’est-ce pas ce que nous appelons l’espérance ?
L’espérance, voilà bien un mot qui paraît démodé.
On en fait souvent reproche aux croyants, accusés de naïveté.
Face à tous les problèmes, à toutes les tragédies
de notre époque, guerres, conflits, misères, exploitations,
est-ce naïf d’espérer ? Si notre espérance
est une attente passive, si nous attendons que tout se fasse sans nous, si
c’est une démission, une fuite devant nos tâches et nos
responsabilités, alors oui, notre espérance est vaine.
Mais
Jésus nous invite à une autre sorte d’attente, plus
active, il nous invite à apprendre à veiller, à traverser
les difficultés de la vie dans le souci des autres. Veiller, c’est
apprendre à regarder et à écouter, comme dans le soin
porté à autrui, comme on dit « veiller un parent
ou un ami malade ». C’est aussi réhabiliter le sens
de l’attente. Notre culture contemporaine reste obsédée
par le présent, l’actualité immédiate, les dernières
nouvelles ou la météo du jour ou du lendemain. Nous vivons
dans un temps rétréci. Contre cet applatissement du temps,
il faudrait pouvoir tenir notre passé, même lointain, le reconniître,
l’assumer, pour vivre plus intensément le présent dans
l’attente confiante d’un avenir, d’un ad-venir du Seigneur
qui nous attend dans sa lumière.