INTRODUCTION : (Lise)
Michel et moi venons d’allumer le cierge qui illumine ce 3e dimanche
de l’Avent 2007. Comme vous, nous n’en sommes plus à notre
première préparation à la fête de Noël. Selon
notre âge, il y a 20, 40, 50, 60, 80 ans ou plus que nous attendons
la naissance d’un enfant… que la liturgie nous présentera
bientôt comme le Sauveur du monde… l’enfant de tous nos
désirs…
Mais en fait, sur quoi porte notre attente?
Le monde d’aujourd’hui nous offre tant de voies à suivre,
tant de propositions de sens, tant de messies!... Attendons-nous la bonne
chose ou devons-nous en attendre une autre? Comme cette petite fille d’une
publicité récente qui dit, avec un petit air désolé,
avoir reçu un chat alors qu’elle attendait un poney… et
qui, cette année, demande un petit frère… Qui nous dira
si nos attentes sont bien dirigées… et qui est le véritable
messie?
Depuis toutes ces années, qu’en communauté, nous revivons
ce temps de l’Avent, portons-nous toujours la même attente au
fond du cœur… est-elle encore et toujours celle que nous désirons
approfondir?… ou bien, préférons-nous une attente toujours
recommencée, une fascination nouvelle, une promesse inédite
qui animera la présente année?... Au cours de cette célébration,
chacune, chacun de nous est invité à se poser, en vérité,
la question suivante : sur quoi porte profondément l’attente
qui me tend vers Noël?
Inspirée par l’attente d’Isaïe, de Jean-Baptiste
et de Jésus lui-même, la liturgie d’aujourd’hui
nous propose de nourrir notre réflexion en puisant, à nouveau,
dans les extraordinaires réserves de sens que nous sommes loin d’avoir
fini d’explorer en christianisme. Et vous constaterez qu’en ce
dimanche, les textes sont particulièrement denses. Bonne célébration.
PREMIÈRE LECTURE Isaïe 35, 1-6a.10 (Michel)
PREMIÈRE LECTURE Isaïe 35
Le désert et la terre de la soif, qu'ils se
réjouissent!
Le pays aride, qu'il exulte et fleurisse,
qu'il se couvre de fleurs des champs,
qu'il exulte et crie de joie!
On verra la gloire du Seigneur,
la splendeur de notre Dieu.
Fortifiez les mains défaillantes,
affermissez les genoux qui fléchissent,
dites aux gens qui s'affolent :
« Prenez courage, ne craignez pas.
Voici votre Dieu :
c'est la vengeance qui vient,
la revanche de Dieu.
Il vient lui-même
et va vous sauver. »
Alors s'ouvriront les yeux des aveugles
et les oreilles des sourds.
Alors le boiteux bondira comme un cerf,
et la bouche du muet criera de joie.
Ils reviendront, les captifs rachetés par le Seigneur,
ils arriveront à Jérusalem dans une clameur de joie,
un bonheur sans fin illuminera leur visage;
allégresse et joie les rejoindront,
douleur et plainte s'enfuiront.
À maintes reprises, tout au long de ce temps de l’Avent, nous
avons entendu Isaïe nous annoncer son utopie : Que le désert
fleurisse… Que le loup paisse avec l’agneau… Oui, c’est
une belle utopie! Mais, elle nous laisse sur les interrogations que Lise
vient d’évoquer. Car, on ne saurait faire taire nos misères!
Dimanche dernier, Danielle nous quittait sur une question percutante. Parlant
de nos sècheresses, de nos manquements mortifères (pour ne
pas dire de nos vices) symbolisés par la paille, elle terminait ainsi : « N’est-ce
pas avec la paille qu’on a fait son berceau? »
Oui, Jésus est venu… Comme un innocent, apparemment sans puissance,
couché sur cette paille de nos misères en les assumant, non
comme un grand conquérant armé, mais comme un tout petit sans
défense. Nous croyons, nous espérons qu’il reviendra.
Le berceau de paille que nous évoquerons de nouveau le soir de ce
Noël qui vient rejoint, pour moi, l’utopie annoncée par
Isaïe et me rappelle le beau vers de Victor Hugo : Une utopie
est un berceau.
Mais que penser?... Quoi faire avec cette paille de nos misères,
avec nos violences multiples que Dieu lui-même semble assumer dans
le texte d’Isaïe qui parle de la vengeance et de la revanche d’un
Dieu qui vient nous sauver ?
Je suis interrogé, déconcerté (nous le sommes tous),
par ce thème de la vengeance. J’ai mal… J’éprouve
un mal-aise devant le mot même de violence. Que dire? Comment
comprendre la vengeance?
Avant de dire, peut-être faudrait-il écouter davantage, jusqu’au
plus profond de soi, la parole de Dieu. Méditons ensemble… Mais
n’oublions pas que dans le mot violence, il y a le mot vie!
PAUSE
Lecture de l’évangile de Matthieu 11, 2-6 (Michel)
Jean le Baptiste, dans sa prison, avait appris ce que faisait le
Christ. Il lui envoya demander par ses disciples : « Es-tu
celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre? » Jésus
leur répondit : « Allez rapporter à Jean
ce que vous entendez et voyez : Les aveugles voient, les boiteux marchent,
les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts
ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. Heureux
celui qui ne tombera pas à cause de moi!
Et bien… Voilà! comme dirait l’autre qui pense porter
remède pharmaceutique à nos maux. Voilà la réponse
de Dieu au thème de la violence qu’a soulevé Isaïe
et qui retient encore le Baptiste anxieux dans sa prison. C’est la
vie qu’il veut et qu’il crée en surabondance en Jésus
qui vient au monde comme un petit enfant.
Jésus, comme Jean, mais dans un style nouveau, ne renie pas, ni ne
refoule la violence. Il l’assume (le Christ faisait, raconte
l’évangéliste). Il ne reste pas passif en rêvant
d’utopie, là où la religion demeurerait un opium ou une
illusion, comme un Marx et un Freud l’ont débusqué.
Car, hélas! devons-nous toujours le constater, beaucoup d’aveugles
le sont encore; nous marchons tout croche (d’ailleurs, boiter n’est
pas un péché); les sidéens sont toujours souffrants
ou ostracisés. Nous devenons de plus en plus sourds, surtout en vieillissant;
les morts restent trop souvent silencieux. Nous demeurons à l’affût
des potins et inondés de mauvaises nouvelles. La Bonne Nouvelle est
de moins en moins annoncée dans nos temples à moitié vides.
Trop souvent les disciples se retirent, un peu piteusement, comme ceux de
Jean.
En quoi consisterait la vengeance de Dieu aujourd’hui? La réponse,
pour moi, m’est venue, encore une fois, par la bouche d’enfants. À l’issue
de la guerre du Cambodge, un journaliste demanda aux enfants qui avaient été témoins
du massacre de leurs parents par les Khmers rouges s’ils avaient envie
de se venger? « Oui », répondirent-ils. Comment? « Ils
nous ont fait du mal, nous nous vengerons donc en leurs faisant du bien ».
Quelle logique abyssale qui rejoint l’action de Jésus! Ah !
si le président Bush avait entendu ça au matin du 11 septembre!
Jésus n’était pas dupe de nos duretés d’entendement.
Il ne se faisait aucune illusion sur le fait qu’on puisse le réduire à un
doux rêveur; c’est pourquoi, croyons-nous, a-t-il ajouté : Heureux
celui qui ne tombera pas à cause de moi!
Aussi, il ne s’attardera pas plus longtemps à répondre
aux disciples de Jean. Il a encore quelque chose à dire et à faire. Écoutons…
Suite de l’Évangile
de Matthieu 11, 7-11 (Lise)
Tandis que les envoyés de Jean se retiraient, Jésus se mit à dire
aux foules à propos de Jean : « Qu'êtes-vous
allés voir au désert? un roseau agité par le vent? Alors,
qu'êtes-vous donc allés voir? un homme aux vêtements luxueux?
Mais ceux qui portent de tels vêtements vivent dans les palais des
rois. Qu'êtes-vous donc allés voir? Un prophète? Oui,
je vous le dis, et bien plus qu'un prophète. C'est de lui qu'il est écrit :
Voici que j'envoie mon messager en avant de toi, pour qu'il prépare
le chemin devant toi. Amen, je vous le dis : Parmi les hommes, il n'en
a pas existé de plus grand que Jean-Baptiste ; et cependant le
plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui.
Après avoir répondu à Jean-Baptiste que son attente était
déjà en train de se réaliser chez l’aveugle qui
voit et le boiteux qui marche, Jésus se retourne vers la foule… vers
nous… Qu’êtes-vous allés voir dans le désert?
Qu’est-ce qui attire votre attention dans ce monde en plusieurs lieux
si désertiques? Qu’attendez-vous de lui?
« Un roseau agité par le vent? »… La
dernière vague de prêt-à-porter?… Tel courant
prêt-à-penser?… ou la nouvelle mode médiatique?… Non.
« Un homme aux vêtements luxueux »? Un notable,
un banquier, un pape ou un premier ministre?… Non.
« Un prophète? Oui, je vous le dis »… Là,
on sent que Jésus se rapproche de ce qu’il veut faire comprendre.
On pourrait définir un prophète comme celui ou celle qui sait « écouter
l’herbe pousser », c’est-à-dire qui sait reconnaître
la beauté, la bonté, le salut en train d’advenir silencieusement
dans des situations qui semblent parfois complètement perdues… et
qui tout autant dénonce les dérives et les perversions des
meilleures intentions sociales et ecclésiales qui créent et
entretiennent ces situations… Jésus voit en Jean-Baptiste,
son impétueux cousin, un grand prophète… Il parlerait
probablement en notre siècle de Mgr Romero, de Mère Theresa,
de Jean Vanier, de Mandela, de Ingrid Bétancourt et de combien d’autres… Les
prophètes savent positionner leurs attentes au cœur de vrais
défis humains…
Visiblement, Jésus aime les prophètes… mais d’une
façon surprenante, il continue de provoquer la foule qui l’écoute :
Ce que vous êtes allés voir dans le désert c’est « bien
plus qu’un prophète. C’est de lui qu’il est écrit :
Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour qu’il prépare
le chemin devant toi »… Pour qu’il prépare
le chemin?… Jean-Baptiste ne fait pas que prêcher, il baptise
qui veut, sans exclure personne, il dénonce le faste et les déviations
de Hérode, il offre sa tunique lorsqu’on lui demande son manteau… Et
sur les routes d’aujourd’hui, il vit avec des handicapés,
elle veille les mourants de la rue, elle risque sa vie pour un projet de
libération politique en faveur des pauvres, bref, ces plus-que-prophètes n’attendent
pas le salut, ils et elles le construisent… Leur attente est active,
positive, concrète et transformatrice… Noël est déjà advenu… C’est à nous
de le réaliser encore et toujours à travers une attente renouvelée
annuellement… car, comme le disait Michel, l’utopie est loin
d’être accomplie…
Mais lisons le texte jusqu’au bout : « Le plus petit
dans le Royaume des cieux est plus grand que Jean-Baptiste » qui
pourtant, aux dires de Jésus lui-même, parmi tous les hommes, « il
n’en a pas existé de plus grand ». Ultime provocation à notre
attente même lorsqu’elle se fait active : au milieu de nous,
dans nos propres milieux, à l’intérieur comme à l’extérieur
de notre communauté, il existe des « petits » qui,
mieux que nous parfois comme dans le cas des enfants cambodgiens, arrivent à saisir
la beauté et la profondeur du salut apporté par l’enfant
de Noël…
À cet effet, écoutez la finale d’une entrevue réalisée
avec une jeune femme, mère célibataire outrageusement blessée
par la vie, se débrouillant avec l’aide sociale et qui ne vit
que pour sa petite fille de quaatre ans :
Après l’avoir interrogée sur son enfance, sa famille,
la société, le gouvernement… Sur le point de clore l’entretien,
l’interviewer lui demande :
- Dieu, lui?
- Dieu est fort quand on s’occupe de lui. Ma fille, c’est moi
qui m’en occupe… Si ça t’a déprimé notre
conversation, dis-toi qu’il y a du monde qu’il faut pas chercher à déterrer.
- Une dernière question? Et Dieu, lui, encore une fois?
- Il est fourré, ça prendrait un autre déluge…
- Que ferais-tu?
- Je tiendrais ma fille au bout de mes bras et je la ferais passer