Vous serez d’accord avec moi, c’est une histoire qui donne à penser… L’homme
arrive en courant. Il a certainement entendu parlé de Jésus.
Il l’appelle « Bon Maître ». Sa hantise :
la vie, la vie éternelle… « Maître, que
faire pour avoir la vie, toujours? ». Au fond de lui-même,
il y a quelque chose qui questionne la qualité de sa vie… C’est
comme s’il se demandait : qu’est-ce que vivre? Qu’est-ce
que la vie? Où cela mène-t-il? Non seulement il est riche,
mais il a de la morale. Non seulement il connaît les commandements,
mais il les observe depuis sa jeunesse. En même temps, il semble
vivre une insatisfaction. Il ne se contente pas d’être en
règle. Il se cherche lui-même. Il cherche quelque chose
de durable. Il cherche autre chose qui pourrait ressembler à la
vie éternelle. Jésus l’interpelle. Il le regarde.
Il lui indique une voie, un chemin pour se libérer encore davantage
et devenir plus humain, plus en vie. C’est une invitation : « Suis-moi. » Tout
est affaire de réponse. Cet homme, pour le moment, n’est
pas prêt…
On lit une certaine sagesse chez cet homme. Il sent que la vie ne se
vit pas sous le mode de l’avoir, qui peut devenir lentement le
lieu de ses enfermements. Même si l’évangéliste
dit que cet homme « avait de grands biens », il
ne s’agit pas uniquement d’argent et de maisons, mais de
tout ce qui peut l’encombrer. Il lui faut apprendre à lâcher
prise. La vie, semble dire Jésus, n’est que dans le partage.
La frénésie de la consommation peut-elle rendre heureux?
Le seul bonheur : aimer et être aimé. Et aimer est
une expérience qui mène à l’action. Un vieux
proverbe dit : on n’a que ce qu’on a donné. Jésus
le redit à sa façon : il y a plus de bonheur à donner
qu’à recevoir…
Visiblement cet homme cherche... Jésus lui ouvre un chemin : « suis-moi ».
Jésus est un marcheur, un « itinérant ». « Une
seule chose te manque : va, vends tout ce que tu as, donne-le aux
pauvres…puis viens, suis-moi ». Mais cet homme n’était
pas prêt : « Il s’en alla… » Et
la vie continue. La vie est une marche vers la vie totale, la vie éternelle.
Une marche avec quelqu’un…
Jésus regarde et se tourne vers ses disciples pour leur redire, à cette
occasion, qu’on ne se sauve pas uniquement en amassant des richesses
et, je rajouterais, non plus qu’en amassant des mérites.
Jésus utilise une comparaison, qui a traversé les siècles
et les cultures, mais qui nous laisse songeur : « il
est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une
aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de
Dieu ». On l’a tellement commentée. Je ne le
ferai pas aujourd’hui… C’est une image exagérée
comme on en trouve souvent dans les contes orientaux. Jésus aimait
le langage paradoxal, fort, pour réveiller.
Mais ce qui est important pour Jésus ,c’est de profiter
de cette situation pour faire saisir à ses disciples le sens de
cet appel : on ne se sauve pas tout seul, on est sauvé par
l’Autre, par Dieu, par les autres aussi, avec les autres… On
n’entre qu’allégé dans la vie éternelle….
Passage qui est facile à comprendre, mais difficile à vivre.
La foi est une invitation à sortir de soi. Il faut accepter d’être
sauvé dans l’action et non dans une attente passive.
(Pourquoi je vis? Jusqu’où ma façon de vivre me mène-t-elle?
C’est quoi une vie qui serait éternelle? Pour l’homme
riche, c’est de prendre une décision fondamentale. C’est
un homme bon. Trop de choses le retiennent encore pour pouvoir décider
d’aller plus loin. )
Il y a dans ce passage quelque chose de la radicalité de l’Évangile,
cette radicalité qui nous dit: va plus loin, va vers toi, tout
comme Abraham. Et on sait qu’Abraham a fait de sa vie un très
long voyage. Va vers l’autre, cherche à devenir un véritable
humain. L’Évangile t’y invite, moi Jésus, je
t’y invite. Comment posséder comme si on ne possédait
pas. Ne pas être possédé par ses possessions. Confiance
en l’autre et non se tourner vers soi pour se protéger.
Nous ne sommes pas des possédants, mais des personnes qui apprennent à gérer
et à libérer leur vie. La foi est une invitation à sortir
de soi, à faire confiance à l’autre, à faire
confiance à Dieu, à quitter les sécurités
illusoires et à se dépouiller de certitudes… Devenir
plus grand que les biens que l’on possède.
La sagesse, c’est de savoir regarder et se regarder. Dans le passage
il y est question de regard par trois fois… Jésus nous
a communiqué un regard sur les autres, regard de sagesse de libération;
un regard qui devient geste. Pensons à la magnifique chanson de
Brel : « Il nous faut regarder… »
Pour cultiver ce regard, je crois que nous avons de la chance de fréquenter
la Parole et l’assemblée pour continuer à nous interroger :
quel regard portons-nous sur Dieu, sur nous, sur le monde, sur les autres?
Est-ce que le regard me mène à l’action, à quelle
action? À chacune et à chacun de trouver son chemin, le
meilleur. C’est tout le sens de notre vie. Jésus en propose
un; pour l’instant cet homme ne peut consentir. Il ne peut le suivre
parce que Jésus est effectivement toujours sur les routes, il
est un itinérant et l’homme, lui, possédait encore
de grands biens… Mais il sait probablement que viendra un moment
où le bagage doit être ouvert pour de bon… et qu’il
faudra se libérer de bien des choses…
Qu’est-il dont advenu de cet homme à la suite de sa rencontre
avec Jésus? On espère pour lui… On espère
pour nous. L’Évangile ne se termine jamais. Souhaitons que
cet homme ait décidé un jour ou l’autre de se remettre
en route. Cet homme c’est vous, c’est moi… Sommes-nous
en cheminement vers la vie, vers la vie éternelle?( Faisons-nous
confiance en un Dieu qui nous respecte, un Dieu patient, qui porte un
regard sur nous, qui attend que nous soyons des disciples intelligents
et qui désirent se tenir debout en plein coeur du monde, en plein
cœur de la vie?)