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LE CHRIST, ROI DE L'UNIVERS (C)

21 novembre 2010

Luc 23, 35-43

Yvon D. Gélinas

Yvon D. Gélinas

On venait de crucifier Jésus. Les premiers mots de l'Évangile de ce jour. Un jour de fête. La fête de ce Jésus crucifié que l'on nous présente comme roi de l'univers. Nous n'en sommes pas à un paradoxe près. Roi, centre et sommet d'achèvement de l'univers, ce Jésus livré aux insultes, aux moqueries de ceux qui croient en avoir fini avec lui, objet de l'ironie de tous ces bien-pensants, de tous ceux qui savent que le mal l'emporte toujours, que la force et la violence sont les seules issues possibles en cette vie, sur cette terre.

Il marchait au milieu de son peuple, attentif aux moindres fragilités; il prenait soin des exclus, des malades, des sans voix. Il ouvrait un avenir pour tous, petits comme grands, pourvu qu'ils aient un cœur ouvert, un désir de bonheur au-delà des duretés de la vie et du monde. Il faisait naître et monter une espérance en ces cœurs purs. Il parlait de libération, de liberté, et même de paix. Et toute sa personne, toute sa démarche, tous ses gestes donnaient poids à sa parole, la rendait crédible et entraînante.

Et voilà : on vient de le crucifier. C'est l'échec. Ils ont réussi ceux qui ne supportaient pas cette parole, que la seule figure de cet homme, que d'autres reconnaissaient comme prophète, comme maître de vie, comme compagnon de route, ceux que sa seule figure irritait, ceux à qui il faisait peur – la peur de perdre des pouvoirs et privilèges pourtant si dérisoires – ceux-là l'ont emporté. Cette terre qui est la nôtre, cet univers qui nous appartient, ne sont pas, ne doivent pas être le lieu d'une espérance. Il parlait d'un royaume, de son royaume? Il se disait donc roi? On lui organise un triomphe royal : cette inscription au-dessus de sa croix. Le triomphe de l'échec.

Et nous qui nous disons ses disciples, la suite, le prolongement et la continuité de sa présence d'autrefois, nous reprenons ce titre de roi et en faisons une fête. Pourquoi? Pour le plaisir de se reconnaître dans l'échec? Pour se consoler en disant bien fort que nous avons raisons d'être faibles? Ou peut-être par refus d'accepter le succès du monde, la marche du monde de progrès en progrès, la lucidité et le réalisme qui font les vrais succès, les formes les plus neuves et les plus actuelles de ce que l'on appelait autrefois la royauté?

Et si tout au contraire, c'était, tout en ne refusant pas la figure actuelle de notre monde, pour être vraiment la suite et la continuité de sa personne, de sa parole, de ses gestes, de son espérance. Pour ne pas faire oublier une autre face de la vie, celle qui touche le fond du cœur, celle qui donne sens et porte le poids du présent et de l'avenir. Une manière de dire que oui vraiment ce Jésus que l'on vient de crucifier, il est le centre et le sommet de l'univers.

Jamais il n'a voulu une royauté de pouvoir et de domination, mais bien plutôt une royauté de participation et de partage, de don et d'accueil. Il est venu participer à notre vie. Il l'a vécu cette vie en tous ses retranchements et à son extrême limite dans un don si radical qu'il en devient presque choquant. Il refuse le salut magique pour lui et pour les autres. Il préfère affirmer son partage de la détresse et de la souffrance de ce compagnon de supplice qui se tourne vers lui. Tu es avec moi, je suis avec toi, ensemble nous serons à jamais. Il a vraiment été l'un de nous, un comme nous, dans la peine comme dans les moments de paix et de simple bonheur. Il a tout partagé de nos vies pour que nous puissions tout partager de la sienne. Partager un jour sa gloire, oui, mais surtout dès maintenant partager sa fidélité, sa pureté, son souci de l'autre, sa sagesse et son espoir.

Paradoxe donc que cette fête du Christ roi de l'univers qui nous propose comme texte évangélique, un récit d'échec. Paradoxe d'une fête qui prend un nom de pouvoir pour nous parler de service. Paradoxe d'une fête qui nous dit que ce Jésus est le plus grand et nous le montre au plus faible de sa vie. Intrigant et questionnant paradoxe. Paradoxe de la croix. Croix qui le fait roi, parce que cette croix nous dit que c'est en reconnaissant sa fragilité que l'on voit sa grandeur, et que c'est aussi en reconnaissant notre propre fragilité que nous découvrons notre grandeur. Force et royauté du partage, du don, du service, et de l'attente.

Il est roi le Christ Jésus parce qu'aujourd'hui encore il nous rassemble et nous montre le chemin : il nous invite à prendre la voie qu'il a lui-même suivie et marchée. Comme lui, avec lui, par lui, apprendre à réconcilier plutôt qu'à dominer, rassembler plutôt que venger, ouvrir les cœurs plutôt qu'inspirer la crainte qui mène à la soumission. Ouvrir les cœurs et un avenir par les gestes les plus humbles de la simple humanité. Partager en reconnaissant notre propre faiblesse, nos propres détresses dans celles même de ceux qui encore aujourd'hui ont figure de malfaiteurs aux yeux du monde comme à nos yeux à nous. Tout se joue en cette royauté de partage, de participation, en acceptant, à sa suite et à son exemple, nos impuissances qui ne demandent pas à être changées en puissance mais en force qui porte la vie.

Le plus beau en la fête d'aujourd'hui, c'est de l'entendre lui, le Jésus crucifié, nous dire et redire au coeur de nos vies, au cœur de ce que nous sommes : Aujourd'hui tu seras avec moi; et plus beau et plus fort encore : Aujourd'hui je suis avec toi.



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